9) Chapitre neuf

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Sous les cèdres bien enneigés, les mains dans les poches, se donnant pour allure une démarche à la fois nonchalante et assurée mais qui cachait une gêne facilement palpable, les deux adultes se déplaçaient à l'improviste dans un parc aux sentiers parfois sinueux. Leur rythme cardiaque leur imposait davantage une cadence que leurs élans respectifs, et ils ils marchaient ainsi depuis une petite demi-heure sans but précis.

Initialement, après avoir quitté l'espace publique où ils s'étaient donnés rendez-vous, quelques bribes de paroles avaient été échangées. Et maintenant plus rien, seul le souffle du vent daignait se manifester à l'aide de quelques vives sonorités. Quelques minutes auparavant encore, ce silence se voyait dérangeant, montrant bel et bien que malgré le naturel que chacun prétendait promouvoir, seuls des questionnements à n'en plus finir résonnaient au sein de leur esprit, contrastant avec le calme que l'extérieur leur offrait. Puis, après un premier temps quelque peu déconcertant, Kuroo avait finalement trouvé que cette tranquillité s'immisçait parfaitement dans ce cadre plaisant, revigorant. Que le besoin de surenchérir en permanence ne se ressentait pas forcément, et que cela devait bien s'agir d'une sorte de naissance de quiétude entre eux deux. Que cette image paraissait en fin de compte loin de lui sembler déplaisante.

Néanmoins, si ses oreilles se régalaient actuellement de ce paysage sonore bonifiant, il risqua toutefois de jeter un coup d'oeil discret en direction de Daishou.

Ce dernier arborait un regard perdu dans la nature, mais toute son expression corporelle renvoyait des signaux de préoccupation, tant il semblait ainsi crispé.

Et puis Kuroo se rappela. Il se rappela que Daishou ne supportait pas de ne pas posséder le contrôle d'une situation donnée, et que quand cette dernière lui échappait, sa carapace reprenait souvent le dessus. Il devenait de ce fait encore plus grossier, plus sarcastique. Ou qu'au contraire, il arborait cette affreuse mine faussement désolée, agrémentée d'une légère couche d'hypocrisie dont il gardait le secret, mais qui commençait à s'effriter bien plus que prévu en compagnie du noiraud. Parce qu'au final, il  ne renvoyait que rarement le portrait de lui-même à cent pour cent, et que peut-être, cette espèce de vulnérabilité lui appartenait quelque peu.

Et comme si une connexion s'obtempéra, Daishou pris la parole.

- Parfois, j'aime bien la tranquillité.

- Ouais, fut tout ce que son acolyte trouva à répondre, sentant alors qu'un ton plus sérieux paraissait effectivement s'être immiscé.

- Si on cause toujours avec vulgarité, les autres s'habituent. Ça serait vachement con de perdre mon potentiel là-dessus, alors je le rentabilise et l'économise au max.

- C'est plutôt moi qui doit me préoccuper de ce genre de chose dans mon cadre professionnel. Toi, à ce niveau là, t'es tranquille.  

- Ça tombe bien, je viens de te dire il y a à peine trente secondes que j'appréciais la tranquillité. Et puis tu sais, c'est la subtilité que l'on rajoute qui fait que ça fonctionne aussi bien.

- Arrête ça tout de suite, marmonna Kuroo, ne sachant pas tellement quel tournant cette discussion prenait.

- Arrêter quoi, je te prie ?

- De me fournir de pseudos conseils. Avec toi, rien n'est gratuit, je ne le sais que trop bien. Si c'est pas en fric, c'est en services foireux. Je veux pas placer mon argent dans tes petites escroqueries.

- T'es vraiment un imbécile, j'espère que tu t'en rends au moins compte ? Mais tu me cernes plutôt bien, voire même très bien, alors on à qu'à dire que ça compense un peu.

Et dans cette dernière légère insulte, Kuroo crû dénicher un semblant d'affection. Il espérait tout du moins, car on pouvait difficilement faire encore plus tacite. Tant de petits signaux envoyés, et il semblait toujours hésiter. Et lui, faisait de même, mais son homologue n'avait pas l'air de rassembler son courage pour oser aborder le sujet. Il vivaient tous deux le bel âge que représentait vingt-six ans, et il avait l'impression d'entrapercevoir deux collégiens ayant le béguin pour la première fois. Et si dans un sens cela pouvait sembler stupide, il savait que quelque part, ça ne l'était pas tant.

Car Daishou l'attirait, inévitablement. Mais il n'y avait de loin pas que son corps. Tous ses sens, les éveils de sentiments d'autrefois s'étaient à nouveau manifestés, et il ne souhaitait clairement pas l'envie d'un "peut-être". Il préférait pour sûr un refus catégorique à un pourquoi pas, et désirait un oui plus que toute autre réponse. Alors il se décida. Il savait pertinemment qu'il aurait pu attendre encore ce soir, demain, une semaine ou encore un mois. Attendre que la situation évolue, que tout devienne davantage limpide. Mais avec lui la limpidité volait en éclats, tout se présentait en demi-mesure. En paradoxes versatiles.

Alors il s'arrêta commodément d'avancer, Et son voisin de marche en fit de même, spontanément.

- Dis, quand tu me dis que tu devras être audacieux cette année, c'est un jeu ? Une partie où tu te dois de gagner, parce que ça serait plaisant de la remporter ?

Le concerné le regarda avec des yeux grands ouverts, la bouche entrouverte. Il lui fallut un petit instant avant de reprendre contenance, et de répondre avec ce qu'il croyait avoir bien saisi.

- Ce qui est sûr, c'est que je serai vraiment perdant à ne rien tenter.

- Donc c'est bien un jeu ?

- Non. Par contre j'aurais adoré que les évènements s'écoulent comme un jeu d'enfant.

- Tu pourrais pas être plus clair ? Au lieu de balancer tous tes jeux de mots que tu fais depuis le début ?

- Soit le toi-même.

Kuroo se maudit. Comment ce roublard arrivait-il toujours à retourner la situation, à détourner ainsi ses stratagèmes ? Mais puisqu'il constata qu'il ne possédait certainement pas d'une autre alternative en ce moment, il décida de poser une question, gravitant dangereusement vers un langage clair et formel, moyen de communication dont il n'était pas sûr d'être encore bien à l'aise actuellement.

-Est ce que tu voudras toujours être audacieux l'année prochaine, ou c'est un contrat temporaire de douze mois seulement ?

Puis, voyant un sourire bien trop satisfait sur les lèvres du châtain, il sentit ses joues chauffer, inévitablement, mais décida pour une fois d'en faire abstraction.

- Mmmh, un contrat à durée indéterminée me semblerait optimal. Mais pour ça, faut que les deux parties soient en accord. Pour quelqu'un bossant dans la communication, les partenariats et autre, tu me déçois. Ça commence d'ailleurs à faire beaucoup de déceptions pour aujourd'hui.

- Ferme-là un peu pour changer. T'aimes la tranquillité hein ? Ben sache qu'elle te sied à ravir. Et puis pour les contrats, ils sont soit de l'ordre de l'écrit ou de l'oral.

- Alors, me la couler douce sur une plage en guise de lune de miel me plairait particulièrement, mais je suis pas chaud chaud pour me marier demain, vois-tu. Donc bon, les contrats, très peu pour moi.

- Toujours extrapoler, hein ?

- Que veux tu, ça fait sans doute parti de mon charme ravageur.

- Si tu le dis. Est-ce qu'alors on... ne ferait pas... plus ample connaissance ?

Aucune réponse verbale de la part de Daishou. Il ne fallut seulement que le noiraud ne vire son faciès de quelques degrés, s'accrochant de l'espoir qu'un indice ne vienne s'immiscer dans les iris de celui qui accaparait toutes ses pensées depuis quelques journées bien trop longues. Il le vit s'avancer doucement, en harmonie avec le calme ambiant de la forêt laquée de flocons, et avant de sentir un souffle réconfortant contre lui, Kuroo avait déjà refermés ses yeux. Il sentit alors seulement des lèvres contre les siennes. Ses lèvres. La chaleur et leurs fermetés contrastait avec la douceur des mains qui entourèrent son cou. Puis, après ces quelques secondes qui réveillèrent ses sens, Daishou recula, et planta ses yeux mordorés dans les siens.

- Quoi que, je dirais qu'il faudrait plutôt en inventer un nouveau. Un contrat de type implicite.

Kuroo sourit. Ça lui convenait tout à fait. Et certainement que dans les jours qui surviendraient, ce dernier évoluerait en explicite.

Parce qu'il s'était toujours agi de cela.

D'un mélange incertain entre pudeurs et grossièretés, fiertés et simagrées. De rivalités à sincérités.

Voeux silencieux [KuroShou]Donde viven las historias. Descúbrelo ahora