8) Chapitre huit

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Des sourcils froncés, un regard incertain, des joues cramoisies ainsi que quelques peaux mortes sur ses lèvres légèrement gercées, tel était le profil qui se reflétait dans la glace dans laquelle Kuroo s'observa. Kenma lui avait donné son opinion, - expéditive, certes, mais il ne fallait pas trop lui en demander -, mais le noiraud n'était toujours pas convaincu. Parce qu'il ne connaissait plus Daishou de la même manière qu'autrefois, et bien que les phrases fusaient encore d'un naturel déconcertant, il était encore plus difficile qu'auparavant de connaître le véritable fond de sa pensée.
 
Sa mine montrant clairement un air tout sauf serein, il actionna le robinet de la petite cabine, et sa frotta énergiquement le visage à l'eau froide espérant ainsi reprendre davantage contenance. Il se le sécha rapidement, se regarda à nouveau dans le miroir, et constata que sa mine montrait déjà une apparence davantage sereine. Il poussa un léger soupir et se tint bien droit avant de saisir la poignée de porte. Une fois fait, d'un pas qu'il espérait assuré, il se hâta de retrouver l'ancien de Nohebi, et s'installa machinalement à sa place comme si rien de particulier ne s'était produit, comme un appel d'urgence passé à son précieux acolyte de longue date.
 
- Ben dit, tu devais être vachement constipé.
 
- Tu veux vraiment le détail de mes scelles ?
 
- Sans façon.
 
Kuroo tapota discrètement ses mains d'une rythmique qu'il espéra naturelle sur ses genoux, et décida de revenir sur le sujet qu'ils avaient lancés avant qu'il ne daigne s'enfermer aux toilettes, car cette conversation allait indéniablement revenir sur le tapis.
 
- Bon, je me disais que peut-être, on pourrait aller chez moi ?
 
Cette fois-ci, ce fut autour de Daishou d'écarquiller les yeux. Ce changement de faciès ne dura qu'une demi seconde, mais Kuroo entraperçu néanmoins ce léger changement d'expression, remarquant ainsi que cette proposition l'avait tout de même quelque peu décontenancé.
 
Au vu de cette réaction et pris dans un dernier élan de doute, il décida de ne finalement pas suivre les conseils de Kenma. Parce que l'appréhension d'avoir mal saisi ses intentions ou de passer un terrible moment gênant revint au triple gallot. Parce que contrairement à ce que nombreux semblaient penser, il possédait bien moins de courage que ce qu'il aurait souhaité en cet instant. Même s'il avait complètement perdu de sa timidité qui l'habitait étant enfant, il n'arborait pour autant pas nécessairement une assurance et aisance aussi certaine. Surtout quand il s'agissait des sentiments, là une partie de fierté et d'intimité rentraient en jeu. Quand tout était clair comme de l'eau de roche, que les affinités se montraient spontanément réciproques, alors la situation qui en découlait devenait bien plus facile à cerner. Les sourires en coins, les taquineries, ou encore des gestes tactiles placés habilement en feintant qu'il s'agissait seulement d'un mouvement bienveillant participaient en cette mise en confiance libératrice.
 
Mais là, c'était différent.
 
Parce que la personne qui l'intéressait potentiellement, il la connaissait depuis longtemps. Avant même les divers affrontements entre leurs équipes de volley respectives. Et même s'il ressentait l'impression que son authenticité lui était restée fidèle, il avait peur de se rattacher au Daishou du passé. Parce que de l'eau avait coulé sous les ponts jusqu'à leurs retrouvailles, que dorénavant se tenaient deux adultes dans la vie courante. Et puis, en se familiarisant à nouveau avec ses simagrées depuis leurs retrouvailles, l'évidence le frappa. Celle qui lui fit comprendre que sans s'en être aperçu, elles lui avaient manquées. Au final, ce n'était pas seulement depuis longtemps qu'il ne l'avait pas entraperçu. C'était depuis trop longtemps.
 
Quand quelques interrogations affectives le titillaient lors de ces années lycées, il les balayait d'un revers de la main. Parce qu'il y avait Mika, et que Kuroo n'était pas si fallacieux. Parce que ce n'était pas non plus évident pour une apparente fierté quelconque, de s'avouer à soi-même que le personnage fourbe que l'on feintait de ne pas supporter ne nous laissait finalement pas aussi indifférent que ce que l'on essayait de se persuader.
 
Et puis une révélation tomba. Il l'avait appris parmi les premiers, parce qu'inconsciemment,- ou du moins se le persuadait-il encore à l'époque -, il s'était montré davantage curieux que ces autres coéquipiers. 
 
Daishou et Mika avaient rompus. Mika l'avait plaqué.
 
Bizarrement, tout un panel de diverses émotions s'étaient manifestées. De la joie, de la déception, de la curiosité, une certaine jalousie mal placée, ainsi que tout un tas d'autres sentiments qu'il n'aurait sut décrire. Qu'il ne voulait pas décrire. Et puis, quelques jours après l'affrontement Nekoma-Nohebi, une nouvelle sensibilité plus âcre revint, plus vive et abrupte. Car il avait appris. Qu'ils étaient à nouveau ensemble.
 
Et même si, à ce moment-là déjà, il savait qu'il n'était pas éperdument amoureux, qu'il s'en remettrait, qu'il s'agissait d'une phase provisoire, il décida au moins d'entrouvrir les yeux une fois. Il tenait et s'intéressait à ce foutu serpent davantage que ce qu'il aurait souhaité s'avouer. Et bien que ce lien ne représentait pas une attraction aussi puissante que d'autres personnes le ressentaient, il était tout autant légitime. Il pouvait, se devait le droit de ressentir ce qui le traversait, d'en prendre conscience, et de poser des mots sur la situation.
 
Alors il avait prit un moment. Pour mieux comprendre les incohérences qui le taraudait, pour mieux les définir.
 
Quand Mika avait largué Daishou, il avait était heureux qu'ils ne soient plus ensemble. Déçu que cela fut la décision de la copine, car il cela aurait davantage clair sur la réciprocité de leurs sentiments actuels. De la curiosité, pour savoir pourquoi ça n'avait pas fonctionné. Et un peu de tristesse, car une peine de coeur laissait toujours un goût amer au minimum, et qu'il ne lui souhaitait pas de vivre ça tout en sachant pertinemment qu'il ne tomberait jamais dans ces bras.
 
Mais aujourd'hui, ça semblait différent. Alors il se ravisa, et changea d'idée.
 
- Je voulais voir si t'étais audacieux, mais faut croire que tu l'es moins, en témoigne ta réaction et ta prédiction de bonne année. Tire pas cette tête, on à qu'à aller se balader un coup.
 
- Ouais, je crois bien qu'un bon gros bol d'air frais nous ferait le plus grand bien.
 
Puis, ayant réglé l'addition de leur boissons, ils poussèrent le battant de la porte, le froid revigorant venant déjà titiller le bout de leur nez rougis à nouveau.

Voeux silencieux [KuroShou]Where stories live. Discover now