Chapitre 1

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L’Allée des Embrumes.

Jude’s Black Book.

C’est ici que je suis né. Ou plutôt, que j’ai été fabriqué. Fabriqué dans cette petite boutique sombre et lugubre de l’Allée des Embrumes, en plein cœur de Londres. Fabriqué des mains de Mr Mac Jude, le propriétaire de la boutique.

Mais, revenons au début.

Mr Mac Jude était un grand homme d’âge moyen, qui paraissait assez gentil. Or, j’avais compris que son domaine était la magie noire. Et je savais qu’il ne fallait pas lui faire confiance à cent pour cent.

Oui, je le sais, je suis un journal. Un journal intime qui vous raconte une histoire. Vous allez me demander : comment peut-on réfléchir, avoir des émotions, pouvoir comprendre des choses quand on est un journal ?

Figurez-vous que j’allais y venir.

Mr Mac Jude était donc un homme célibataire, qui vivait toujours seul, dans sa boutique et dans le petit appartement au-dessus de celle-ci. Il fabriquait toutes sortes d’objets de papeterie : des plumes pour écrire, des encriers, des parchemins, des livres, des carnets, des journaux intimes…

Mais tous ces objets n’étaient pas de simples parchemins, de simples encriers, de simples journaux. Ils avaient tous une particularité propre à eux. Certaines plumes mémorisaient tout ce qu’elles écrivaient, certains encriers utilisaient l’encre de leurs voisins quand eux-mêmes étaient vides, certains carnets ne s’ouvraient qu’à la personne à qui ils appartenaient, quand on écrivait sur certains parchemins, l’encre s’effaçait mais ce qui avait été écrit restait gravé dessus à jamais… Bref, chaque objet avait une capacité que lui seul possédait.

Je faisais partie de tous ces objets qu’il avait fabriqué sans aucun plaisir. J’étais composé d’une couverture en cuir de dragon, une matière assez précieuse dans le monde des sorciers. Mes pages étaient de ces parchemins que l’on ne vendait que dans cette petite boutique atypique. Mon secret à moi, ma particularité à moi était que lorsque quelqu’un écrivait sur mes pages, l’encre disparaissait au bout de quelques secondes mais le message restait gravé à jamais en moi.

En moi. Car oui, j’ai une âme.  C’est pour cela que tous ces objets étaient si spéciaux. Pour qu’ils puissent posséder cette faculté qu’eux seuls possèdent, Mr Mac Jude leur insérait à tous un petit objet. Je n’ai pas le droit de révéler la nature de cet objet. Je n’ai jamais fait de pacte, mais c’est tout comme si. Ce petit objet était une sorte d’âme qui permettait au carnet, au journal intime, à la plume, à l’encrier, au parchemin, au livre qui le possédait d’avoir la fameuse faculté. Je peux seulement vous dire que mon âme était en fait une plume de phénix d’une extrême rareté.

Grâce à ma plume de phénix, je pouvais aussi penser, réfléchir, comprendre les choses. D’où cette histoire que je vous narre.

Mr Mac Jude m’a fabriqué en 1933. A partir du moment où j’ai eu une âme, j’ai été en quelque sorte conscient de ce qui se passait autour de moi. Justement, pas grand-chose. J’étais exposé sur une étagère, sur un des murs de la petite boutique.

Chaque jour, des clients venaient, passaient devant les étagères, et la plupart du temps ils repartaient satisfaits de leur achat. J’espérais toujours que ce serait moi le prochain. Car j’avais fini par comprendre que, quand on n’avait toujours pas été emporté par quelque client au bout de cinq ans, notre âme disparaissait et Mr Mac Jude, ne voulant plus de nous, nous brûlait. Si on partait avant d’être resté cinq ans ici, on vivait aussi longtemps que celui qui nous avait acheté le voulait.

Je voulais être acheté par quelqu’un. N’importe qui, du moment que je ne finissais pas brûlé par la main même de mon créateur. Et puis, j’avais envie de voir autre chose que ce petit endroit miteux.

C’est vrai, cette boutique n’était ni accueillante, ni belle. Il y avait d’un côté les plumes, d’un côté les parchemins et les encriers, et d’un côté les livres, carnets, et journaux intimes. Devant le dernier mur se trouvait le bureau de Mr Mac Jude. Et derrière, l’étroit et sale escalier menant à son appartement du-dessus et à son atelier.
La boutique était en désordre, les objets s’entassaient, sans aucune organisation, la poussière s’accumulait. Mais Mr Mac Jude ne paraissait pas s’en soucier le moins du monde. Au contraire, on aurait dit qu’il aimait travailler dans un désordre total.

Les boutiques d’en face n’avaient pas l’air mieux entretenues. Quand je parvenais à entendre des brides de conversations, toutes traitaient de magie noire, et de choses qui ne m’avaient pas l’air saines. Je préférais ne pas retenir tout ce que j’entendais, mais une part de moi se questionnait sur ces sujets et je me sentais intéressé par la magie noire malgré moi.

Mais je ne devais pas oublier que je n’étais qu’un journal.

Je n’avais qu’une envie : que quelqu’un vienne, m’achète, m’emmène ailleurs que l’Allée des Embrumes pour me permettre de voir le monde et d’avoir une longue vie en tant que journal intime.

C’est ce qui se produisit. Mon vœu fut enfin exaucé. Au bout de quatre ans, quand je commençais à désespérer, un jeune garçon est entré à Jude’s Black Pen, et il m’a emporté à tout jamais. Je ne savais pas, à ce moment-là, que je n’aurais jamais dû me réjouir. Ce petit garçon s’appelait Tom Jedusor et il était capable de tout.

The diary Where stories live. Discover now