Visage en abîme

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Le salon, flou. La mise au point progressive révèle un chaos de verres et de bouteilles sur la table, assortis de reliquats de chips et de pizzas ; les chaises sont disposées en désordre au fond de la pièce ; des miettes jonchent le canapé. Le parquet grince et Amandine s'avance en grommelant vers la table, où elle prend une poignée de chips, qu'elle enfourne. Samantha la rejoint et entoure son abdomen de ses bras, la câline.
Amandine : Bonjour.
Samantha : Je t'aime, tu sais ?
Amandine : Moi aussi je t'aime. Motivée pour ranger ?
Samantha : Non...
Amandine hoche la tête.

On empile des verres sur la table avant de les prendre, on passe un coup d'éponge sur la table, on passe un coup de balai sur le sol, on remplace une chaise, on toque à la porte. On entend la voix étouffée d'Amandine :
Amandine : J'y vais !

La porte s'ouvre sur le visage souriant d'Amandine qui se fige dans une expression de stupeur médusée.

Un visage un gros plan, neutre, peut-être un peu dur.
Elle a des cheveux bleus mêlés de lune. Elle... J'ai reconnu son visage malgré les années. Aliénor. Elle me regarde sans rien dire. Elle m'a reconnue. Nous sommes figées. Mon cœur occupe tout mon abdomen. Aliénor... Un visage et tous les souvenirs fleurissent.
On voit Samantha passer derrière l'épaule d'Amandine, s'approcher, hésiter, comprendre et partir.

Aliénor en gros plan.
Aliénor : Vous avez été vraiment bruyant hier, la prochaine fois, prévenez.
Sa voix est un peu plus grave. Ça fait quoi ? Cinq ans et demi ? Tout est pareil et pourtant si différent.
Amandine : Désolée. C'était pas prévu à l'origine et... Désolée.
Aliénor : C'est tout ce que tu trouves à dire ? J'ai pas dormi de la nuit et s'est pas vues depuis cinq ans. Franchement, je m'attendais à mieux. Au moins, tu es toujours aussi belle quand tu souris.
Rien n'a changé. Tous les sentiments – amour, exaspération, terreur –, tout ce qui faisait notre relation – cynisme, chantage, désir –, tout est là, intact, cinq ans après : sous la croûte, la plaie est encore béante. Je veux fermer les yeux et qu'elle disparaisse, je veux ouvrir les yeux et qu'elle m'embrasse.
Aliénor : J'espère que tu es disponible aujourd'hui, sinon je vais vraiment passer une mauvaise journée.
Amandine : Désolée... Désolée pour...
Je revois ses pleurs. Les miens, cachés : ne pas faiblir. Fuir. Je ressens à nouveau ce déchirement. Tout est là où nous l'avions laissé, il y a cinq ans, cette nuit où j'ai fui. Ces cinq années n'ont jamais existé pour mon cœur qui tremble devant elle ou pour elle, je ne sais pas.
Aliénor : Je n'ai pas oublié. Je pense encore à toi. Ne pars pas.
Ma main glisse dans la sienne, s'y loge comme dans un écrin et je retombe dans le trou noir où elle m'entraîne.
Amandine fait un pas. La porte se ferme derrière elle en claquant.

Noir.

Lent battement d'aileDonde viven las historias. Descúbrelo ahora