ACTE 2 - Marisen

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Amarine préparait du thé quand Marisen débuta son vigile, au chevet de la créatrice. Elle n'aurait su expliquer pourquoi, exactement, elle avait la sensation que son devoir était de rester là, de lui souffler des encouragements jusqu'à ce qu'elle ouvre les yeux. Elle n'était pas sûre non plus de ce qu'Amarine comptait faire. Parler à ceux qui hésitaient, sans doute, espérer les convaincre de laisser une chance à leur déesse.

Au regard assassin d'Ambral, elle avait du pain sur la planche.

Lorsque Marisen détourna les yeux, elle se retrouva face aux grands yeux curieux de Lunwi. L'enfant sourit d'un air peu timide, enthousiaste. Il avait des œufs en chocolat à la main et les mangeait avec appétit. Marisen le regarda faire, légèrement médusée, mais plus amusée qu'autre chose.

"Ce sont les cadeaux qui ont été faits à la créatrice, non ?"

"Oui, confirma-t-il joyeusement, mais on est dans sa tête, de toute façon ! Quand elle se réveillera, ce sera toujours là."

Ce qu'il disait avait du sens, même si Marisen devait bien reconnaître que c'était particulièrement étrange à imaginer.

Elle était un personnage. Une histoire. Comme les lignes d'opéra que son frère avait apprises sans relâche, jusqu'à incarner sur scène un seigneur diabolique, un héros légendaire, ou un fils éploré. Elle n'était rien de plus que ces incarnations sur scène. C'était effrayant, d'une certaine façon, de reconnaître qu'elle n'avait jamais eu le moindre véritable impact sur ses décisions.

Mais le fils éploré qui avait tout perdu, le seigneur diabolique qui n'avait blessé personne d'autre que d'autres lignes de textes, ou le héros légendaire qui n'avait jamais existé, tous avaient fait sourire, rire et pleurer. Une distraction, de l'imagination, le désir de partager de belles histoires avec le reste du monde, les opéras qu'il aimait tant n'avaient jamais été plus ou moins que ce qu'elle était.

En repensant à la joie et l'excitation de son cher frère lorsqu'il lui parlait du nouveau personnage qu'il allait incarner, elle avait été incapable d'éprouver le moindre ressentiment envers ce fait.

À côté d'elle, la joie de Lunwi était palpable alors qu'il dégustait le chocolat, légèrement fondant.

"C'est si bon que ça ?" demanda-t-elle avec bonne humeur.

"Tu en veux ?" répondit Lunwi.

Elle lui fit signe que non. Elle n'avait jamais été bouche à sucre. La cendre et la fumée lui avaient épuisé les papilles gustatives, elle n'y éprouvait donc pas grand intérêt. Les épices fortes, la seule chose qu'elle arrivait à ressentir, voilà ce qu'elle aimait plus que tout.

Lunwi enfonça un autre œuf au chocolat dans sa bouche.

"J'aime bien, finit-il par dire, mais je suis surtout content d'en sentir le goût. Je savoure les sensations. La divinité de la miséricorde ne peut que parfois me redonner le goût, l'odeur, le toucher... Je profite de chaque instant où je peux en profiter."

Elle comprenait terriblement. Curieuse, elle se demanda si elle pourrait sentir le goût du chocolat, si elle le goûtait à l'instant. Il serait toujours temps de voir ça dans quelques instants.

"Ça ne doit pas être facile. Tu en veux à la créatrice pour ça ?"

Il haussa les épaules.

"Pas vraiment, c'est comme tu disais plus tôt. Elle ne blessait personne, d'après elle. Et puis, la divinité de la miséricorde ne se rendait pas compte de la cruauté de son geste. Elle pensait vraiment me faire une faveur en faisant en sorte que je ne puisse plus jamais ressentir la faim ou la douleur. Je ne peux pas non plus lui en vouloir si je suis... c'est quoi le mot, déjà ?"

ÉlucubrationsWhere stories live. Discover now