ACTE 1 - Problématique

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C'était une matinée aux allures de nuit d'été. Plus exactement, c'était l'impression que donnait cette petite pièce beige qui n'aurait pas dû sembler propre, avec une fenêtre, une chaise, un bureau et un lit. Peu de place sur le sol, à peine de quoi s'asseoir.

Une pièce qu'Amarine n'avait jamais vue.

Elle s'était retrouvée là, sans avant ni après, avec une sensation de familiarité et d'inquiétude insaisissables, mais impossibles à confondre. Puis ils avaient commencé à apparaître, l'un après l'autre. Des humains. Sur le lit, sur le sol. Assez pour se retrouver serrés les uns contre les autres.

Et Amarine avait vite compris pourquoi elle était là.

"Oh," finit-elle par dire quand les murmures de ses compagnons d'infortune se mirent à devenir gênants, "donc la créatrice est en train de mourir."

Ça avait eu le mérite de faire taire les autres un instant. Puis les questions avaient fusé. De qui parlait-elle ? Qui était-elle ? Où étaient-ils ? Pourquoi cet endroit leur était-il familier ? Pourquoi avaient-ils tous si peur ?

Un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept. Huit avec elle. Quatre hommes, trois femmes, un enfant. Elle connaissait leurs noms et leurs peines, mais eux ne se connaissaient pas, ne la connaissaient pas. Ils étaient perdus, effrayés, frustrés, plus ou moins humains dans leurs émotions.

Quand Dieu était en train de mourir, personne ne pouvait se permettre de rester calme, mais l'incompréhension actuelle n'était que désordre et manque de productivité. Des explications étaient de mise.

Amarine avait fermé les yeux avant de compter jusqu'à quatre. Puis elle avait claqué des doigts et le silence était revenu.

"La créatrice," répéta-t-elle simplement, "celle qui nous a donné vie. Celle qui, dans cette petite chambre, a réfléchi à notre histoire, à notre création et à chacun des petits détails qui nous composent."

Amarine avait été créée il y a longtemps. Peut-être trop longtemps pour être sûre de ce qu'elle était à l'origine. La créatrice n'avait été qu'une enfant, elle avait ri avec ce personnage et l'avait traitée comme une amie plus que comme un être fictif. Peut-être que cela expliquait cette conscience qu'elle avait d'elle-même. Les autres, qui la regardaient avec les yeux écarquillés, ne se rendaient sans doute pas compte qu'ils n'étaient que des lignes sur un écran.

"Nous sommes des personnages. Des histoires, des fictions. Elle nous a créés pour divertir et pour imaginer. Est-ce que l'un d'entre vous connait quelqu'un d'autre, ici ?"

Les autres personnages se regardèrent. Non. Ils n'étaient pas deux à venir de la même histoire. Elle pouvait déjà voir ceux qui la croyaient, ceux qui refusaient de la croire, ceux qui s'adaptaient plus facilement que les autres. Au milieu des regards incrédules ou compréhensifs, elle put entendre une exclamation de fureur qu'elle choisit d'ignorer pour le moment.

"La créatrice est en train de mourir," répéta-t-elle, "et nous devons faire quelque chose."

Un homme ouvrit la bouche, le regard empli de colère, prêt à protester. Cependant, l'enfant se leva, les yeux écarquillés, et posa une question avant lui.

"Madame, excusez-moi, mais... pourquoi n'avez-vous pas de visage ?"

Et si la situation n'avait pas été si grave, Amarine aurait ri.

"Oh, c'est parce que je suis vieille. J'ai grandi et changé. Avec le temps, la créatrice ne sait pas laquelle de mes apparences est celle que je dois garder, alors elle change. Elle varie. Je ne suis pas la seule, regarde."

Elle désigna une forme vague, qu'on pouvait à peine distinguer comme féminine, mais qui dégageait l'énergie d'une soirée d'automne. La femme en question souffla et croisa les bras d'un air buté.

ÉlucubrationsWhere stories live. Discover now