Chapitre unique

Depuis le début
                                        

Il attrapa le volet relevé et le laissa lourdement retomber sur le clavier, cachant ainsi à sa vue cette suite en noir et blanc, soustrayant à son regard la cause de sa colère sourde. Il se retourna sur le tabouret et gémit. Un bourdonnement envahit son crâne alors que des picotements se faisaient ressentir dans toutes ses extrémités. Il allait pleurer, c'était une question de secondes. Déjà ses oreilles se bouchaient parce que son nez se remplissait de morve. Et ça je le sens encore ! ragea-t-il. Quelle désagréable sensation, il aurait mal à la tête plus tard.

Sa mère entra, il ne l'entendit pas. Elle lui tapota doucement l'épaule pour lui faire lever les yeux vers elle. Il lut : « Ça va ? ». « Tu as besoin de quelque chose ? ».

- Non, répondit-il en secouant la tête.

- Sûre ? demanda-t-elle encore.

Il hocha la tête. Elle le laissa pleurer en le regardant tristement. Et son cœur de mère se serrait. En vingt-cinq ans elle avait si rarement vu son fils pleurer. Ç'avait toujours été un garçon renfermé qui ne laissait pas trop paraître ce qu'il ressentait, alors le voir déballer son ressenti ainsi c'était dur pour elle, surtout qu'elle n'aurait jamais les mots pour le consoler. Il souffrait et était enfermé dans un monde d'où aucune parole ne pourrait le sortir.

Pourquoi avait-elle pu entendre, elle ? Tout est de sa faute, accusait-il à présent. Elle lui avait laissé croire que c'était possible. Pourquoi avait-elle fait ça ? Avait-elle joué un jeu ? Mais dans quel but.

- Joues pour moi Yoongi, s'il-te-plaît, demande-t-elle.

Le jeune homme venait de pénétrer dans le salon où se trouve sa grand-mère, et son piano. Il lève les yeux au ciel. Il avait déjà joué deux heures aujourd'hui. La vieille femme se lève du tabouret rehaussable qu'elle avait installé pour son petit fils poussant sur ses poings ridés avant de se laisser tomber dans le fauteuil voisin non sans grimacer parce que ce dernier est profond parce que mou. Mais elle le sait, elle veut seulement être au plus proche de du piano noir pour écouter jouer son petit fils. Celui-ci s'approche de l'instrument de torture en soufflant. Il remonte un peu le siège et s'installe confortablement dessus, les pieds balançant dans le vide. Il souffle à nouveau, plus discrètement.

- Tu as joué halmeonim ?

La vielle femme hoche la tête.

Elle se rend compte que son petit fils ne peut pas atteindre les pédales.

- C'est pas grave, joue quelque chose où tu n'en as pas besoin.

Alors que le jeune garçon met en place ses mains pour jouer un menuet, sa grand-mère enlève les appareils qu'elle a dans les oreilles. Elle fait toujours ça quand elle écoute de la musique, elle dit pouvoir entendre les vibrations des sons dans l'air et que c'est mille fois plus beau que les sons mal amplifiés par ses sonotones.

- Mais halmeonim, proteste le tout jeune garçon, tu vas pas entendre si tu les enlèves. En plus j'ai pas la pédale pour les résonances.

Elle balaye l'air d'un revers de main sans rien dire et, refermant ses doigts fripés autour de ces petits appareils électriques, elle ferme les yeux.

- Tu peux y aller mon chéri.

Alors le jeune homme met tout son cœur à l'ouvrage, pour faire vibrer l'air jusqu'aux oreilles de sa grand-mère. Lorsqu'il tourne la tête, il voit la sienne basculer en arrière, un peu, et suivre la progression de la partition en rythme. Enfin il voit un sourire se dessiner sur le coin de ses lèvres tombantes, un tremblement faire osciller ses paupières et sa mâchoire se contracter.

No Noise No Song [OS Yoonmin]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant