(𝟎𝟎𝟗) : Songe d'une nuit d'été

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Qu'il aurait été aisé d'écrire une scène pathétique en le voyant, là, perdu, au milieu des vestiges d'une violence sans nom. 

Son regard sauta le long des détails de la pièce, se remémorant comme dans une carte mentale chaque indice qu'ils avaient marqué d'un écriteau jaune. Le corps avait été décroché, le miroir lavé des dernières traces de sang, et pourtant, il pouvait s'imaginer de nouveau le tableau qu'il avait découvert la première fois quand Hoseok l'avait appelé ce matin-là. Les cordes pendues au plafond. Les strass de son tutu blanc. Les produits de maquillage éparpillés le long de la petite coiffeuse. Les photos coincées dans le cadre de la glace à présent mises sous scellés. 

Il n'y avait plus rien, et pourtant, comme des silhouettes fantomatiques, elles apparaissaient à lui, se matérialisaient devant lui pour rire de sa frustration, les cintres des habits de scène pointant vers lui leurs doigts métalliques avec moquerie, les fleurs d'un admirateur le raillant au point de perdre ses pétales fanées. 

Il y avait encore nombre de questions qui le hantaient, inlassablement — pourquoi ce #2, pourquoi cette mise en scène, pourquoi cette signature, pourquoi ici, pourquoi maintenant. Mais l'interrogation qui avait pris ancre ce matin dans son esprit en se réveillant, tournant en boucle dans ses oreilles comme un vieux disque rayé alors qu'il se brossait les dents ou qu'il déposait Soo-bin à l'école, c'était : pourquoi elle. 

Pourquoi elle. Pourquoi cette danseuse, pourquoi cette jeune femme et pas une autre ? Il y avait des centaines d'autres de ballerina chez Garnier, alors pourquoi celle-ci en particulier ? Pourquoi vouloir la tuer, elle qui en apparence était ce petit cygne blanc craintif ? Blesser une belle-de-nuit d'un club sadomasochiste était-il suffisant pour vouloir souhaiter sa mort ? Etait-ce tout ce qu'elle avait mérité pour être victime ?

Yoongi se souvenait de ses cours, à l'Académie, quand il était encore jeune et plein d'ambition, avant d'être désabusé et terni par la réalité du métier. Se souvenait de cette doctorante aux cheveux grisonnants, et, laissant ses doigts passer le long de l'étagère soutenant quelques trophées, il rappela à sa mémoire ces leçons d'amphithéâtre. 

Le mot victime venait du latin victima, lui-même découlant de thyma en grec. Cela symbolisait la créature sacrifiée aux dieux, aux temps antiques où les Empereurs régnaient en maître sur les territoires conquis et où les temples regorgeaient de présents au goût de miel pour les déités du Panthéon. Terrifiés de la colère des démiurges, une de ces fureurs qui ne pourrait être apaisée par les fruits les plus juteux et les soies les plus fines, les hommes avaient décidé d'égorger sur leurs autels des sacrifices humains ; l'essence des vierges, pauvres brebis dans ce peuple de lions et de hyènes, apaisant la rage des immortels. Tirant sur les cheveux d'une jeune femme encore florissante dans les beaux printemps, n'ayant cure de ses joues baignées de larmes et de ses pieds écorchés qui s'enfonçaient dans les chemins de graviers, pour la présenter aux grands prêtres avec un sourire faussement peiné. 

Si elle était offerte en offrande, c'était qu'elle était nécessairement coupable, disait-on. Qu'elle avait tort, parce que c'était elle qui portait la faute de la société — une femme adultère, un homme ayant goûté au vice, n'importe qui, qui risquerait d'apporter le courroux des cieux sur leur tribu. 

Dans le cas d'Ivanka... qu'elle avait été sa faute ? La faute d'aimer une autre femme ? La faute de s'être perdue dans le désir de la chair ? La faute de n'avoir pu contrôler ses pulsions ? Etait-ce, une fois encore, suffisant pour l'attacher sur la stèle pseudo sacro-sainte ? 

─ 鲵 𝙎 𝘾𝙊𝙈𝙈𝙀 𝙎𝘼𝙇𝘼𝙈𝘼𝙉𝘿𝙍𝙀 : 𝙔𝙊𝙊𝙉𝙂𝙄Where stories live. Discover now