Chapitre 4

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Hangman's Tree avait été déserté depuis longtemps. Garçons et filles avaient joué ici, avaient inventé mille et un jeux, s'étaient pourchassés avec des armes en bois, avaient dévoré des plats imaginaires, puis s'étaient raconté des histoires jusqu'au bout de la nuit...

Vicky avait de merveilleux souvenirs ici.

Malheureusement, un Q.G. ne restait secret qu'à partir du moment où personne ne connaissait son existence. Dès lors qu'elle avait été repérée, elle avait dû quitter Hangman's Tree.

Ce qui ne l'empêchait pas de revenir de temps en temps. Voler était le plus formidable moyen de transport, surtout lorsque l'on habitait Neverland. En une seule journée, Vicky pouvait observer le soleil se lever du haut de la falaise surplombant le village des Wapis, puis traverser les Never Woods et passer la matinée à barboter dans la Creek, avant d'aller saluer les sirènes dans leur lagon et finir sa course jusqu'à Skull Rock pour observer le coucher du soleil.

Il n'existait pas de plus belle île que Neverland.

Même perdue dans ses pensées, elle gardait un œil sur son environnement. Pieds nus et perchée sur une branche, elle se balançait doucement dans un équilibre précaire qui ne lui posait pas problème. Vicky n'avait pas peur du vide. Elle n'avait d'ailleurs peur de rien. Tout en chantonnant, elle déposa sur ses genoux une dizaine de petits morceaux de bois. La lame de son couteau aiguisé brilla, puis elle commença à tailler de petits projectiles en forme de fléchettes. Un nouveau jeu qu'elle avait en réserve et dont elle ne parlerait à personne tant qu'il ne serait pas au point.

Pas même à Oneida, qu'elle guettait du coin de l'œil en faisant semblant de ne pas l'avoir remarquée. La femme-Wapi avançait à pas de loups, silencieuse, craignant sans doute que Vicky ne s'envole. Pourquoi l'aurait-elle fait ? Il en fallait plus pour qu'on la déloge de son ancienne maison.

Oneida commença l'ascension de l'arbre. Vicky déposa la dernière fléchette à côté d'elle sans cesser de chantonner. Oneida était encore la seule adulte que Vicky tolérait. Contrairement aux autres, Oneida acceptait parfois de jouer avec elle, ne lui parlait pas comme à une enfant, et ne l'empêchait jamais de faire ce qu'elle voulait.

— Vicky ?

La voix hésitante d'Oneida lui parvint sur sa gauche. Elle était arrivée à sa hauteur et la contemplait d'un regard à la fois sérieux et inquiet. Huh, ce n'était pas très encourageant.

Vicky rassembla ses petites fléchettes et tourna le dos à Oneida.

— Peigne-moi les cheveux.

Oneida ne refusait jamais. La Wapi avait d'ailleurs toujours un peigne sur elle. Une fois qu'elle fut installée à califourchon sur la branche, Oneida commença à démêler doucement ses pointes.

— Tu as beaucoup de nœuds, où es-tu allée jouer cette fois-ci ?

— Dans les bois, un peu partout en fait.

— Avec d'autres enfants ? demanda-t-elle prudemment.

Vicky haussa ses minces épaules, sans pouvoir s'empêcher de sourire. Plus Oneida cherchait à avoir des réponses sur les enfants, plus cela l'amusait de les lui cacher.

— Tu ne les trouveras pas, dit tranquillement Vicky.

— C'est difficile de jouer avec vous si tu ne me dis pas où vous êtes.

Vicky fronça le nez. Oneida pouvait insister, cela ne signifiait pas qu'elle devait répondre.

— Ça s'appelle jouer à cache-cache. Les Wapis ne trouveront jamais les enfants !

Généralement, c'était à partir de cet instant que la discussion dégénérait. Enfin pas avec Oneida, mais avec d'autres Wapis. Des adultes qui ne comprenaient rien aux jeux de Vicky, qui se contentaient de parler avec une grosse voix et de punir. Comme s'ils pouvaient lui faire peur !

— Et si c'était moi qui me cachais ? suggéra Oneida. Alors ce serait aux enfants de me trouver.

Vicky sourit jusqu'aux oreilles. Oneida était tellement transparente.

— Je t'aime bien tu sais, et pour ça, je te donnerai peut-être une enfant avec qui jouer. Il y en a une qui pleure tout le temps, c'est très pénible.

— Et pourquoi pleure-t-elle ? Si c'est par manque de nourriture, j'ai apporté des provisions.

Cette fois Vicky daigna tourner la tête vers elle. Oneida avait un peu changé depuis la dernière fois qu'elle l'avait vue d'aussi près. Elle avait quelques marques d'expression au front et aux coins des yeux ; ses cheveux noirs étaient toujours aussi longs et piqués de plumes aussi douces que la soie – Vicky le savait, car elle les avait déjà touchées.

L'argument l'intéressait, car ses préparations culinaires étaient exquises. Vicky n'en partageait jamais avec les autres enfants, ou à la rigueur juste les restes.

— Où ça ?

— Dans le sac, en bas de l'arbre.

Vicky se frotta les mains l'une contre l'autre.

— N'oublie pas de partager, d'accord ? lui rappela Oneida

Vicky bascula dans le vide, se laissant rattraper doucement par la gravité et atterrit au pied de l'arbre. Une bonne odeur chaude et appétissante émanait du sac. Elle l'attrapa et le plaça en bandoulière par-dessus sa robe crasseuse, moitié grise, moitié marron, qui un jour avait dû être blanche. Elle repoussa les mèches de ses cheveux blonds désormais parfaitement démêlés et leva un dernier regard en direction d'Oneida.

Elle ne lui promit rien bien sûr, elle détestait les promesses.


WendyWhere stories live. Discover now