Chapitre 2

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A 16h10, je vois mon élève remuer sur sa chaise. Effectivement, j'ai un peu dépassé l'horaire, mais je lui explique que c'est pour rattraper mon retard. Sans oser me regarder dans les yeux, il m'apprend qu'il a son cours de tennis dans vingt minutes, et qu'il faudrait qu'il se prépare. J'accepte donc de terminer immédiatement notre classe, et lui donne simplement un exercice pour la semaine prochaine : se décrire tel qu'il s'imagine dans dix ans. Puis je me lève et il se dispose à me faire descendre. Mais je lui demande si les terrains sont loin, en lui proposant de l'accompagner un peu. Au vu de sa timidité, je pense qu'il serait bon de pouvoir un peu discuter avec lui, hors des cours, afin de lui donner progressivement confiance. Il est décontenancé par ma proposition. En bon introverti, l'idée d'être escorté sur le chemin par un quasi inconnu semble le paniquer. Mais il n'ose pas refuser et, après avoir préparé son sac il tourne un peu sur place et hésite à me dire quelque chose. Je suis bien décidé à ne pas lui demander ce qui se passe, afin de l'obliger à s'exprimer. Et il finit donc par m'expliquer, en désignant l'escalier, qu'il aurait besoin d'être seul pour se changer. Il n'a pas de chance, car je prends souvent un malin plaisir à jouer avec les nerfs des timides. Je pense qu'il faut les obliger à sortir de leur réserve, afin qu'ils puissent se libérer peu à peu. Et par conséquent, au lieu de suivre la demande indirecte de son regard, je décide de ne pas sortir de la chambre mais me positionne simplement de dos en lui expliquant qu'il peut s'exécuter, et que je ne le regarderai pas. Je le sens hésiter assez longuement à insister pour que je sorte, mais il termine par se résoudre à retirer ses vêtements et se mettre en tenue.

J'ai bien pris soin, pendant qu'il se changeait, de ne pas me retourner. Mon idée est de l'habituer à se sentir en confiance avec moi, et lui faire comprendre que même si je l'oblige à sortir de sa réserve, ce sera toujours avec respect. Il m'annonce qu'il est prêt, et je me retourne. Il porte un survêtement assez ajusté, qui lui va très bien et me permet de le découvrir plus athlétique encore qu'il paraît au premier abord. Avec une moue admirative, je lui annonce que je suis fasciné de le voir transformé si vite en tennisman. Je lui demande s'il est doué pour ce sport, et il me répond que malheureusement il ne gagne que rarement les matches. Je lui souris : « Tu perds peut-être en points, mais en style je suis sûr que tu les éclates tous. Quand on te voit habillé comme ça, on a l'impression que c'est toi, le champion ! » Il se déride un peu et s'amuse de ma remarque, mais bien entendu le rouge lui est une nouvelle fois monté directement aux joues. Je sens que ça va rapidement m'agacer...

Nous sortons de la maison, et comme annoncé je l'accompagne sur le chemin, moi sur mon vélo et lui à pieds. Instinctivement, je décide de ne pas chercher à tout prix à le faire parler. Je tente de l'habituer simplement à ma présence, et de respecter ses silences. Bien entendu, il m'est difficile de rester totalement muet, mais je me contente de quelques remarques générales sur la résidence et la difficulté à se retrouver dans ces rues toutes semblables.

Au moment d'entrer dans la zone des courts de tennis, je remarque immédiatement le prof. Il discute avec un élève, avec lequel il termine visiblement la leçon particulière, et je le trouve absolument magnifique. Il est assez grand, les cheveux très noirs, et ses avant-bras sont particulièrement musclés et velus. Sous le short, on devine également des jambes d'une grande puissance. Le visage est tout à fait à mon goût, également : des traits légèrement osseux, avec un regard saillant et une petite moustache qui lui donne un charme à part. En un clin d'œil, je suis totalement conquis et décide de rester un peu afin de voir s'il y a moyen de faire plus ample connaissance. Julien, à mes côtés, me regarde assez nerveusement. Il est gêné sans doute de m'avoir à ses côtés, comme si j'étais sa nounou. Mais j'ai beau vouloir respecter sa gêne, je n'ai aucune intention de disparaître au moment d'être présenté à un charmant jeune homme. Il arrive justement vers nous, après avoir dit au revoir à son élève, et je m'avance directement vers lui, en lui expliquant que je suis le nouveau prof de soutien en français de Julien. Je le regarde dans les yeux en lui serrant la main, et il en fait autant. Quelque chose me dit qu'il y aura moyen d'aller un peu plus loin...

Derrière le court où s'installent Julien et son magnifique prof — Louis, à ce qu'il m'a dit — se trouve une petite tribune en ciment. Je m'y installe en prenant un livre, comme si j'avais l'intention de profiter du soleil pour prendre un peu l'air. Bien entendu, ma lecture n'avance pas beaucoup et je passe mon temps au contraire à observer la scène devant moi. Le prof et l'élève s'envoient des balles d'échauffement depuis le fond du court. Louis a un style particulièrement élégant, et semble donner beaucoup d'importance à l'harmonie de ses mouvements. A le voir remuer ainsi, je doute de moins en moins qu'il soit sensible au charme des garçons. Petit à petit, leurs échanges s'accélèrent, et l'un comme l'autre tapent de plus en plus fort dans la balle. Julien, depuis le début timide et ne pouvant s'empêcher de regarder en ma direction en espérant me voir disparaître, semble avoir totalement oublié ma présence. Il donne ses coups avec une grande concentration, et développe une puissance qui m'impressionne. Je ne pensais pas son minuscule corps capable de frapper avec une telle force. Après ces échanges, il travaille son service. Il prend les balles les unes après les autres, à un rythme d'horloger, et les catapulte dans le terrain adverse. Sa détermination est impressionnante, et contraste totalement avec la timidité et la retenue qui ont été les siennes avec moi. Il semblerait que sur un court de tennis, il perde toutes ses inhibitions. Son regard, d'un coup, est ferme et décidé. Si je devais jouer contre lui, j'aurais peur rien qu'en l'observant de me faire laminer. C'est une métamorphose.

A peine le cours terminé, cependant, Julien retrouve son air timide et se hâte de ranger sa raquette dans sa housse et quitter le terrain. S'il ne m'offrait un rapide geste d'adieu de la main, je pourrais croire qu'il a oublié ma présence. En tous cas, à la rapidité avec laquelle il disparaît, je devine qu'il n'a pas spécialement envie que je l'accompagne. Cela m'arrange, en fait, car mon idée est plutôt de m'approcher de Louis. Mais déjà l'élève suivant se prépare et entre sur le court. Il me faut donc être rapide si je veux faire connaissance. J'avance directement vers lui, et lui demande comment se passent les cours avec Julien. Il prend un air circonspect avant de me répondre :

C'est un peu compliqué, avec lui. Il fait de très bonnes choses en entraînement, mais alors dès qu'il est en match, il perd tous ses moyens. Et pareil lors des entraînements collectifs, le samedi. C'est à croire qu'il n'est bon que lorsqu'il est tout seul. Avec un peu de monde autour, c'est fini.

— Il a l'air très timide. La présence des autres doit le paralyser, sans aucun doute. En tous cas, j'ai été surpris de son attitude sur le cours. Il était particulièrement décidé, et presqu'hargneux.

— Oui, en entraînement individuel il sort toute sa rage. Je pense que ça lui fait du bien.

— Toi, par contre, tu as un style opposé. Julien est tout en puissance, et toi tout en finesse. Je n'avais jamais imaginé que les mouvements des joueurs de tennis puissent être aussi élégants et beaux.

— Merci. Malheureusement, le style ne fait pas gagner les matches.

— Peut-être, mais c'est important. Au tennis, je ne sais pas, mais dans la vie ça doit permettre un grand nombre de victoires, une telle élégance.

Des victoires de quel genre ?

— Des victoires sur le genre humain.

— Je ne crois pas. Je n'en profite pas en tout cas. J'ai quelqu'un dans ma vie.

— Evidemment. Un garçon comme toi, quand on le tient on ne veut plus le lâcher. C'est quelqu'un, ou quelqu'une ?

— Quelqu'un. Ceci dit, il aime bien prendre des airs de quelqu'une. Il n'est pas très masculin.

— Moi, je peux prendre l'air que tu veux. Si ça te dit, je pourrais te laisser mon numéro de téléphone pour qu'on aille boire un verre.

— Merci, c'est gentil. Mais le quelqu'un en question est très jaloux.

— Tu n'as aucune raison de le tenir au courant.

Louis éclate de rire et disparaît après m'avoir donné une tape amicale sur l'épaule. Il rejoint son élève suivant sur le court. Il a rejeté mes avances assez clairement, mais il ne sait pas sur qui il est tombé. Je ne suis pas du genre à abandonner si vite. Il m'aura dans les pattes jusqu'à ce que j'obtienne mon dû...

Mon joli monstreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant