Dimanche 7 août, Vendres Plage

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« Le temps s'en va, le temps s'en va, madame ; Las ! Le temps non, mais nous nous en allons ! »
Pierre De Ronsard



A peine vingt-quatre heures s'étaient écoulées depuis mon premier baiser avec Sacha, et ma sœur avait déjà informé mes parents. Quand il s'agissait de garder un secret, on ne peut pas dire que Lysa était exemplaire. Je ne lui en voulais pas. Ma petite sœur n'avait jamais réellement entendu parler de mes précédentes et insignifiantes fréquentations et ma nouvelle relation l'excitait beaucoup. Et qui, à huit ans, gardait réellement un secret ?

Ma mère était aussi enthousiaste que ma cadette et me posa toute une série de questions au sujet de Sacha, ce qui, étonnement, ne me dérangea pas. Je n'avais pas vraiment l'habitude de discuter de choses privées avec mes parents, et en particulier avec ma mère. On ne peut pas dire que nous étions très proches durant mon adolescence. Nos relations étaient pour la plupart du temps très tendues. Pourtant, ce jour-là, je retrouvais comme une complicité avec elle. J'avais l'impression que ça l'intéressait réellement, et qu'elle comprenait ce que je pouvais ressentir. Je lui décrivis donc Sacha de long en large et la façon dont nous nous étions mis ensemble. Après son interrogatoire, ma mère me fit part de sa hâte de le croiser. Quant à mon père, ses multiples taquineries me prouvaient qu'il acceptait sans problème la situation. J'étais soulagée et j'espérais qu'ils apprécieraient Sacha autant que possible.

En déambulant dans les allées du camping, je compris vite que la nouvelle ne s'était pas répandue que dans ma famille. Beaucoup de monde était déjà au courant, et je réalisais que l'esprit familial de mon lieu de vacances n'avait pas que des avantages. Non pas que le fait que les gens soient au courant me dérange, mais c'est plus le regard qu'ils posaient sur moi qui me mettait mal à l'aise. Je n'aimais pas être au centre de l'attention, j'avais toujours l'impression que l'on me critiquait. Sûrement de vieux démons que je ne parvenais pas à chasser...

Alors que nous marchions en direction du camping voisin, je sentis mon téléphone vibrer dans ma poche. Sur l'écran d'accueil, le nom de Kilian s'afficha. J'ouvris le message et le contenu de son message me figea.

« Salut Agathe. J'ai su que tu sortais maintenant avec Sacha. Je ne compte pas te juger ou quoi que ce soit, mais je reste persuadé que tu mérites beaucoup mieux que lui. Il ne saura pas t'aimer comme il le faut et tu mérites que l'on t'aime. Je ne suis peut-être pas présent physiquement, mais tu sais que moi je t'ai aimé, sincèrement. Et j'aurai pu t'apporter ces choses qu'il ne t'apportera jamais : le bonheur et la stabilité. Il n'est pas comme toi, vous n'êtes pas faits pour être ensemble, et tu me déçois d'avoir fais ce choix. Je serai là quand tu pleureras parce qu'il t'a quitté. Bonne fin de vacances. »

Je relus le message plusieurs fois afin d'être sûre de comprendre le contenu du message envoyé par une personne que je considérais comme étant mon amie. Je ne comprenais pas l'intérêt de m'envoyer des méchancetés pareilles et de rappeler qu'il avait été amoureux de moi dans le passé. L'idée qu'il veuille me protéger aurait pu être touchante si ses propos n'avaient pas été si durs et s'il n'avait pas tant jugé le garçon avec qui j'étais désormais. Son message était d'autant plus déplacé que Kilian ne connaissait que très peu Sacha. Je décidai de ne pas y répondre. Personne ne me dirait si oui ou non j'avais le droit de sortir avec Sacha, ou avec n'importe qui d'ailleurs. Au moment où je remettais le smartphone dans ma poche, mon copain me toisa du regard.

« - Pourquoi tu fais cette tête ? »

Je ne savais pas quoi lui répondre. Je savais qu'il n'apprécierait pas le message de Kilian et j'avais peur de sa réaction. Mais je savais aussi que j'étais en incapacité de lui mentir.

« - C'était Kilian et on ne peut pas dire qu'il soit content que l'on se soit mis ensemble.

- Il est déjà au courant ? Les nouvelles vont vite, même à travers la France. Montre.

- Sacha... ça ne sert à rien. Je n'ai même pas répondu.

- Agathe, montre-moi ce message. »

Le ton de sa voix était sans appel et les éclairs que me lançaient ses yeux me confirmaient qu'il valait mieux que je m'exécute rapidement. Je lui tendis le téléphone, ouvert à la page concernée. Sacha observa l'écran pendant de longues secondes avant de se tourner vers moi.

« - Je vais l'insulter. Qu'est-ce qu'il veut ? Sortir avec toi ? Il est pas censé avoir une copine lui ? Et c'est pas déjà ambigu avec Claire ? Non mais c'est quoi son problème ? »

Je ne l'avais jamais vu énervé jusque-là, et je dois avouer que je le trouvai encore plus attirant à ce moment précis. Tous les muscles de son corps s'étaient tendus à la lecture du message et ses épais sourcils s'étaient froncés. Son regard assombri par la colère était davantage envoûtant, et je m'y perdis quelques instants. En reprenant mes esprits, j'attrapai doucement sa main et l'obligeai à me regarder dans les yeux.

« - Écoute, je m'en fous de ce qu'il pense de nous et de ce qu'il veut ou ne veut pas. Je m'en fous de son message et je ne compte pas lui répondre. Laisse le parler. Je sais ce que je veux et c'est toi. Alors il peut bien dire ce qu'il veut, ça ne changera rien. »

Je lui souris et son regard se radoucit. Je savais que sa colère n'avait pas disparu et j'appréciais le fait qu'il se contienne et qu'il ait la capacité à se calmer si vite. Et peut-être que je l'avais un peu rassuré ? Quand sa bouche se posa sur la mienne, je compris que le SMS était déjà un peu plus loin. Nous rejoignîmes les autres au pas de course et entrâmes dans le camping voisin. Alors que nous nous baignions dans la piscine de ce dernier, je repensais ce qu'il venait de se passer. J'avais vu à quel point il pouvait partir au quart de tour. Sa réaction avait été un peu excessive, mais une partie de moi était contente qu'il l'ait eu. J'avais la réelle impression que je comptais à ses yeux et qu'il ne laisserait personne critiquer ou se mettre en travers de notre relation. Cela me rassura. En sortant de mes pensées, j'aperçus Claire qui se dirigeait vers le toboggan. D'un bond, je la rejoignis. Dans la file d'attente, je me demandais si je devais lui parler du message de Kilian. Je ne voulais pas lui cacher quoi que ce soit, mais lui en parler aurait pu lui faire du mal. Et il lui en avait déjà fait beaucoup. Je décidai donc de garder cela pour moi et m'élança le plus vite possible dans le tourbillon d'eau devant moi. L'après-midi passa à une vitesse folle. 

Différents des Autres.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant