Le Château De Sable

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"Papi, on pourra retourner à la plage demain?

-Bien sûr ma chérie, répondit son grand père, en se penchant pour faire un bisou sur le front d'Angéline.

-Et tu crois qu'il y aura encore mon château de sable?

-J'en suis pratiquement sûr, mais de toute façon tu pourra en faire plein d'autre." Le vieil homme borda un peu mieux sa petite fille de ses dures mains abimées par le travail.

Angéline fixa le plafond qui étincelait grâce aux étoiles phosphorescentes que sa grand mère lui avait offert. Elle sembla pensive une seconde, puis se releva brutalement, défaisant les draps que son grand père venait de mettre correctement.

"Est ce que tu sais comment le sable a été créé? s'empressa-t-elle de demander.

-C'était bien avant que tu naisses tu sais. J'étais moi-même minuscule, mais je m'en souviens comme si c'était hier, répondit-il, un sourire malicieux au coin des lèvres.

-Raconte moi s'il te plait! Après je dors, promis, supplia la petite fille. Elle penchait la tête tel un adorable petit chiot.

-Puisque tu insistes tant, accepta le vieil homme."

La petite s'allongea de nouveau dans son lit, recouverte de ses draps roses, sortant seulement la tête.

"C'est l'histoire d'un petit bonhomme tout rond. Il était toujours habillé d'argent et pouvait se qualifier de "rêveur". Il vivait tout seul là haut. En réalité, sa maison était la lune. Il ne voyait donc jamais le soleil.

A force d'être tout seul, tout en haut dans le noir, il s'ennuyait. Des fois, il regardait les étoiles, se demandant ce que ça pouvait bien faire d'avoir un ami. D'autres fois, il regardait la Terre. Il aimait regarder les gens dormir paisiblement, la lune était le meilleur endroit pour le voir. Un jour, l'homme rondouillet en eut assez. Il faillit se rendre sur Terre.

Mais il eut trop peur d'y aller. Il fallait dire qu'avec ses grosses joues, son petit bidon et ses vêtement argentés, il ne passerait pas inaperçu. Après tout, lorsqu'il serait là-bas, tout le monde dormirait. Il pourrait même regarder le doux visage des gens d'encore plus près. Son esprit était mitigé.

Alors, chaque instant, il continua à observer tout le petit monde qui dormait. C'était une des choses les plus belles qu'il voyait. Jamais il n'en avait assez. Il adorait voir à quel point tout pouvait être paisible, du haut de sa petite lune.

En réalité, les pleines lunes se formaient lorsqu'il regardait en bas. Il fallait évidemment qu'il s'éclaire, d'où le fait qu'on voyait la surface, même de chez nous. En revanche, elle était noire quand il ne regardait que les étoiles. C'était un grand rêveur.  

Une fois, il remarqua qu'une personne ne dormait pas. Celle-ci pleurait. En regardant mieux, il vit qu'à quelques pas, une autre se tournait et se retournait dans son lit. Plus loin, un petit garçon était effrayé. De l'autre côté de la ville, une petite fille était en colère. Il se rendit alors compte qu'il pensait tout le monde bien plus heureux que lui; mais en regardant de près, la vérité ressortait. Jamais il n'avait fait attention à ces personnes dans le besoin. Ceci lui fit de la peine, il aurait aimé que ceux-ci connaissent le plaisir de s'endormir heureux. Il lui fallait une solution.

Dans la logique des évènements, si tout le monde dormait, personne ne serait mal en point, et lui pourrait tous les regarder de plus près.

Comment faire pour endormir tout le monde? Lui même ne dormait que très peu, seulement lorsque c'était nécessaire. Il préférait rêver en regardant les constellations aussi bien que les maisons. A cet instant, ce dont il devait tenter de se souvenir était la manière dont il s'endormait.

Lorsque le petit homme était épuisé, il s'allongeait à même le sol et inspirait profondément avant de plonger dans un lourd sommeil de plusieurs dizaines d'heures.

Ceci ne fit qu'un tour dans son cerveau. Il attrapa une poignée de la poussière qui se trouvait sur la lune et l'inspecta de loin. Rien que son toucher le fit bailler. Il avait trouvé, telle était la solution. Il devait faire inspirer de la poussière de lune pour endormir tout le monde. Malheureusement pour lui, cela voulait dire qu'il devait descendre sur Terre, à la vue de tous.

Sur le moment, il prit son courage à deux mains, attrapa un énorme sac en toile qu'il remplit avec de la poussière de lune et sauta dans le vide. Il atterrit sur son petit derrière tout mou et se cacha dans un buisson. Avant de partir, il devait vérifier si la poudre grise ne s'était pas échappée. Lorsqu'il ouvrit son sac en toile, le même effet apaisant s'en échappa pour le faire bailler de nouveau. Pourtant, en passant la main dedans, il se rendit compte que les grains étaient maintenant plus gros. Etonné, il jeta un coup d'œil à l'intérieur. Ce n'était plus gris argenté, mais doré! Il aperçu alors enfin que ses vêtements étaient eux aussi devenus dorés! Ce fut le comble, le petit homme n'en revenait pas.

Peu importe, il avait une mission à accomplir. C'était un soir exceptionnel. Il sortit alors de son buisson. Ce qu'il vit en premier fut la superbe lune, haute dans le ciel. Sa maison. Il eut soudainement hâte d'y retourner lorsqu'il se rendit compte qu'il était incapable de se repérer dans toutes les minuscules rues. Ce ne fut pas pour autant qu'il se laissa abattre.

Il erra, près des maisons, regardant par les fenêtres. A chaque fois qu'il voyait une personne dans l'incapacité de dormir, il lançait un peu de ces grains dorés pour lui venir en aide. Puis, il l'observait dormir plusieurs minutes. Ainsi, le bonhomme faisait d'une pierre deux coup.

Après quelques heures, n'ayant plus de grains dorés, il décida d'aller s'allongea dans un parc, un coin de verdure. Les étoiles étaient toutes aussi belles d'en bas. C'était majestueux.

Bien plus tard dans la nuit, il retourna chez lui, sur la lune. Il voulait voir le résultat de son excursion d'un peu plus haut. Ravis de revoir ses vêtements argentés dès qu'il posa un pied sur le sol gris, il se mit à observer de nouveau.

Chacun leur tour, les personnes que celui-ci avait endormis se levaient tels des automates et sortaient la tête par la fenêtre. Alors, des larmes de grains d'or se laissaient emporter par la brise matinale. Le petit homme ne comprit pas. Peut être rejetaient-ils le surplus de grains?

Intrigué, il regarda tout ceci se dérouler devant ses yeux. Les grains étaient tous emportés loin des maisons, jusqu'aux mers et océans. Ils allaient tous se déposer devant l'eau. Il y avait des millions de personnes, des centaines de milliards de grains d'or.

Sur Terre, personne ne trouvait d'explications à ce qui arrivait sur les plages. Beaucoup inventèrent des légendes ou des trucs scientifiques invraisemblables tandis que le petit homme de la lune recommençait sans cesse, trouvant une sorte d'apaisement ou de confort en cela.

La vraie raison de l'apparition du sable est en réalité connue grâce à un petit garçon se prénommant Antoine. Un soir, alors qu'il faisait semblant de dormir pour faire plaisir à ses parents, il avait entendu des pas dehors. Curieux comme il était, il s'était mis à observer le petit bonhomme par la fenêtre, celui-ci croyant qu'il dormait, il ne l'avait pas vu.

Maintenant encore, il passe tous les soirs aux fenêtres pour vérifier si tout le monde dort, sinon, il lance de la poudre de lune qui deviendra du sable le matin suivant. On le surnomme "Le Marchand De Sable"."

Le grand père regarda la petite Angéline. Ses yeux étaient clos, son souffle doux et son visage calme. Il se dit que son ami le petit bonhomme était passé lorsqu'il racontait son court récit. Avec la plus grande discrétion dont il était capable de faire preuve, il se leva du fauteuil, embrassa délicatement le front de sa petite fille et sortit de la chambre toute vêtue de blanc et rose. En s'éclipsant, il n'oublia pas de laisser un rayon de lumière passer à l'intérieur de la pièce. Angéline avait peur du noir, et Le Marchand De Sable pourrait plus facilement observer son visage d'ange.

Une main vint se poser sur l'épaule du vieil homme, ce qui lui fit échapper un léger sursaut.

-Excuse moi chéri, je ne m'attendais pas à te voir revenir si tôt, ce n'était que son adorable femme. Lui était encore un peu dans la lune, se remémorant l'histoire qu'il venait de raconter et voyant ses souvenirs ressurgir.

-Antoine? Ca fait plusieurs fois que je t'appelle, tu es dans ton monde. Voudras tu un thé?

~~~FIN~~~

Pensées IncongruesWhere stories live. Discover now