Chapitre 28-2 - Paul - Vingt ans de moins

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Il aura fallu à Romy beaucoup de patience et de mots doux pour aider la crise d'angoisse à passer. Paul est resté choqué pendant près d'une heure, et elle a eu le temps de suivre Richard en voiture, pour s'assurer qu'il rentre chez lui en un seul morceau. Elle a également eu le temps de se débarrasser du corps, comme elle en a l'habitude, sans que Paul ne soit capable de prononcer un seul mot.

Son cerveau a tourné à toute vitesse. Il lui a fallu d'abord du temps pour digérer les images qui tournaient en boucle dans sa tête : son bras armé du couteau, qui s'abattait encore et encore dans le dos de cet homme. L'image de ses spasmes, ensuite. Paul a l'habitude de voir la mort, pas de la donner. Quand elle en a eu fini avec le baril rempli d'essence, Romy est remontée dans la voiture, côté conducteur. Paul l'a regardée, et elle l'a regardé. Et elle l'a embrassé. C'était doux, rassurant. Comme si elle lui disait sans parler qu'elle comprenait ce que ça faisait, et qu'elle le remerciait de l'avoir sauvé.

- J'ai peur de m'y habituer, lui a-t-il alors dit.

- C'est une bonne chose de ne pas le faire, lui a-t-elle répondu doucement, sa voix mourant dans un murmure. Sinon, tu deviendras aussi mauvais que moi.

Mais Romy n'est pas mauvaise. Elle ne l'a jamais été, il le sait. Elle les a aidés, elle est restée là, elle a tout pris sur ses épaules, chaque fardeau, chaque corps inerte. Tout. Elle a tout subi pour eux, alors que la solution de facilité serait de faire ses valises et de partir, loin. Romy lutte pour eux, pour le pays où elle a grandi. Pour la paix. Paul ne s'habituera jamais à la mort, mais quand il voit les grands yeux verts de la blonde, il sait qu'il s'habituera à lutter pour le bien, comme elle. Le pompier a fait ce qu'il fallait faire pour que tout le monde sorte de la caserne en vie.

C'est donc le cœur un peu plus léger qu'ils roulent jusqu'à l'appartement de la blonde, qu'ils trouvent plongé dans le noir. Romy n'allume pas la lumière. Elle enlève sa veste et ses chaussures sans avoir besoin de se guider. À force, Paul y arrive aussi. Mais la sensation de ne pas être vu dans le noir a quelque chose de rassurant. Comme si la nuit les enveloppait, comme si le noir pouvait les protéger de tout.

Romy le prend par la main, et se retourne vers lui. Les volets du séjour ne sont pas fermés et la Lune lui fournit juste assez de lumière pour qu'il puisse voir les prunelles pétillantes de la blonde le regarder. Ses doigts caressent les siens.

- Laisse-moi te faire oublier ça, lui susurre-t-elle.

Paul ne répond rien. Il regarde sa bouche balafrée se rapprocher de la sienne et l'effleurer. Le souffle du pompier s'écrase contre celui de Romy. La pointe de sa langue vient tracer le contour de ses lèvres. Paul a l'impression de se noyer. Il a oublié de respirer, il n'est même plus sûr de savoir comment le faire. Les doigts de la blonde se détachent des siens pour saisir son poignet, et le lever jusqu'à son sein, que sa main touche. Instinctivement, il le presse doucement, comme un fruit juteux. Il est rond, il est doux. Il est tentant.

Mais Paul n'arrive pas à tout oublier. Quelques heures plus tôt, Romy se moquait gentiment de lui, lui rappelant qu'il a bien trente ans de plus qu'elle. Sa main s'échappe et retombe le long de son corps. Il recule la tête, assez pour que les lèvres de Romy ne puissent plus jouer avec les siennes. Elle l'interroge du regard, étonnée.

- Arrête, chuchote-t-il. Je pourrais être ton père...

Il la voit sourire. Paul est trop vieux pour elle, physiquement et mentalement. Les doigts de la blonde reviennent à la charge et caressent ses joues dont la peau tend à s'affaler.

- J'aurais adoré avoir un père aussi beau et gentil que toi, lui murmure-t-elle à l'oreille. Mais heureusement pour nous deux, nous n'allons pas commettre l'inceste.

Le Requin [RAMMSTEIN - TERMINÉE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant