— Exactement, je suis chasseur. Et deux fois par mois, je m'y rends pour vendre mes viandes et peaux. Je ne sais pas pourquoi, mais nous ne sommes que deux à fournir ce genre de marchandises. J'en ai donc fait mon métier. Mais tu m'as dit être pêcheur, tu ne vas pas au marché vendre tes poissons ?

— Non, pas vraiment. Mes parents se sont fait enrôler de force par le roi, il y a quatre semaines de cela. Ce n'était pas beau à voir, les escadrons de recrutement ne sont pas connus pour utiliser la manière douce. J'ai eu peur, et je me suis lâchement caché. Je n'ai pas osé m'interposer, j'étais pétrifié en fait. Depuis, je vagabonde plus que je ne pêche...

— Ce n'est vraiment pas juste, répondit Ganadi, compatissant. Que dirais-tu de m'accompagner aujourd'hui afin de te changer les idées ? Et puis deux bras de plus ne seront pas de trop pour préparer mon étal.

— Avec plaisir, de toute façon, il faut que je reprenne mon activité, sinon je n'aurais bientôt plus de quoi me nourrir !

— Entendu, faisons la route ensemble alors.

C'est ainsi que les deux nouveaux amis se mirent en route, ils avaient tous deux beaucoup de choses à se dire. Ganadi apprit que le nouveau venu était de Betola, un petit village à l'est de la forêt aux Corbeaux, et que dernièrement les gardes sévissaient beaucoup dans ces endroits-là.

***

Ils arrivèrent donc à Saro, petite ville fluviale animée par le marché et les activités. On entendait un barde chanter au loin, et des éclats de voix venaient d'une taverne. Au centre de la place, des femmes dansaient presque nues sur un rythme effréné.

Ganadi se tourna vers son nouvel ami avec un sourire :

— Nous y voilà !

— Enfin ! Donc tu as un étal à toi ? demanda-t-il en lui rendant son sourire.

— Oui, mais je ne suis pas en avance, allons-nous installer.

Ce matin-là, la foule était présente. Les deux amis se frayèrent donc un chemin jusqu'à l'emplacement dédié au commerce de Ganadi, le plus reculé de la place centrale. Une fois devant l'étal, il déballa viandes et peaux de toutes tailles dans un éventail de couleurs, allant du rose pâle au brun clair.

— Et voilà, il n'y a plus qu'à attendre maintenant... soupira-t-il.

— Asseyons-nous alors, répondit Yergan en tirant deux tabourets vers eux.

— Bonne idée, acquiesça Ganadi.

Ils se laissèrent tomber lourdement. Soudain un grand homme plein de vigueur muni d'un tablier et à la carrure de bûcheron s'approcha. Sa barbe était parsemée de traces blanches et rousses, mais bien taillée. Pourtant, de près l'homme paraissait fatigué et bien moins vigoureux, sûrement usé par l'âge.

— Bonjour, ô grand chasseur ! lança-t-il avec un grand sourire à l'égard de Ganadi.

— Tiens, bonjour Horn ! Je te présente le menuisier local, dit-il à son ami. Il vient de temps en temps m'acheter des peaux pour embellir ses constructions ! Voici Yergan. Je l'ai rencontré en venant ce matin.

— Enchanté, répondit le grand costaud avec un hochement de tête.

— De même ! Si vous êtes le seul menuisier à Saro, vous devez avoir beaucoup de travail.

— Oui, il n'y a que moi. Malheureusement, ces derniers temps pas vraiment. Et je les comprends. Le roi avec ses maudites taxes prend ce que le peuple pourrait dépenser en fourrures, souliers et nourritures. C'est du vol. De plus, chaque menuisier doit régulièrement fournir des matériaux pour les hommes du roi. Et pour cela nous sommes payés une misère.

— Quel... commença Ganadi.

— Il faudrait vraiment que quelqu'un lui règle son compte ! l'interrompit Yergan en serrant les poings.

— C'est sur mais en tout cas attention à vous les jeunes. La vie se fait dangereuse par les temps qui courent. Ganadi, je peux t'acheter ces peaux ? demanda le menuisier en désignant deux peaux de lapin.

Soudain, un tumulte monta dans la foule. En l'espace d'une minute un désordre s'installa dans le peuple. Soudain apparut une troupe de cavaliers royaux au milieu de la grande place. Sur leurs grands chevaux, armés d'épées acérées et d'armures brillantes, ces gens n'inspiraient que de la terreur.

— Calmez-vous ! clama l'un d'entre eux, le chef semblait-il, le seul sur un cheval blanc. Je m'appelle Chad, et je suis le second de notre suprême souverain. Sachez qu'il ne vous sera fait aucun mal tant vous ne montrez aucun signe d'hostilité. Nous recherchons activement un individu indésirable et dangereux, alors n'hésitez pas à nous rapporter le moindre signe suspect.

— Chiens ! hurla quelqu'un dans la foule en se jetant sur lui les poings en l'air.

Celui qui avait parlé en premier fit virer son cheval en l'espace d'une seconde et, avec une lueur perverse dans les yeux, le força à se cabrer et retomber sur l'homme qui courait vers lui. Un craquement se fit entendre et l'homme tomba à terre, sans vie. Un murmure de haine et de crainte s'éleva de la foule.

— Vous connaissez à présent le sort qui est réservé aux rebelles ! Maintenant retournez à vos occupations ! somma le chef, un sourire mauvais sur les lèvres.

Deux gardes descendirent de leurs chevaux et, ignorant le cadavre qui gisait au sol, placardèrent des affiches sur quelques maisons, laissant la foule en émoi. Les autres pillèrent les étals de nourritures et de boissons dans de grands éclats de rires moqueurs. Par chance, ils n'approchèrent pas de celui de Ganadi, qui était le plus reculé.

La plupart des gens étaient rentrés chez eux craignant un autre accès de violence des gardes restés en ville. La journée de marché s'était donc résumée à quelques rares clients. Il décida alors, dans l'après-midi, de partir plus tôt. Il fit son sac et son nouvel ami lui proposa de l'accompagner sur le chemin du retour. Il acheta deux pommes et deux pains pour le trajet. À la sortie de Saro, une affiche clouée sur un pilier en bois attira leur attention. En passant devant, Ganadi jeta un coup d'œil et se pétrifia. Le portrait représenté sur l'affiche n'était autre que... le sien.

Ganadi - Tome I : Le pays de MénaiWhere stories live. Discover now