Eveline

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Eveline

La première fois que j'ai entendu le message, il était trois heures vingt-quatre du matin. J'étais dans ma voiture, une Honda Civic 2008 rouge. Je roulais à vitesse modérée sur une petite départementale pas loin de Noiret ; le coin étant montagneux, j'avais dû mettre ma sale habitude de conduite sportive de côté pour éviter de terminer au fond d'un ravin. Je revenais d'une soirée que j'avais passée chez mon ami Antoine, qui habitait dans un village encore plus paumé que Noiret. Il avait une petite maison en pierre qu'il avait fait retaper par une entreprise autrichienne. Le gars lui avait fait un devis deux fois moins cher que le charpentier local, alors il n'avait pas hésité. J'avais mis la station de radio locale, diffusée dans Noiret et les alentours. Elle n'avait même pas de nom ; c'était 116.8 FM. La journée, ils avaient un journal local : une heure le matin, de sept à huit heures, et une heure le soir de dix-neuf à vingt heures. Entre temps, c'était variable. La plupart du temps, le gars qui gérait la station, un prénommé Gérard, passait des musiques qu'il aimait bien, souvent de la musique baroque. Parfois, il laissait un invité quelquonque mettre sa playlist, et encore plus rarement, si un local se sentait pousser une âme artistique, il passait des compositions originales d'habitants de Noiret ou des alentours. Je sais même pas pourquoi j'avais mis cette station à ce moment là. Je crois qu'on captait pas Radio Nova et que toutes les autres stations passaient de la musique qui ne m'intéressait pas. Là, je m'en souviens très bien, il passait du Chopin. Une nocturne ou un truc comme ça. Ca me détendait vachement en conduisant. Puis, donc, à trois-heures vingt-quatre du matin, le message a retentit dans ma voiture ; c'était comme si quelqu'un avait mis le son à fond, le mec parlait très fort, il était essoufflé, presque désespéré :

« Eveline, reviens, je t'en supplie »

Ensuite il y a eu un long silence, puis un son de grésillement, et la musique a repris. Mais c'était trop tard. Le message de ce mec était passé. J'ignore encore pourquoi, mais je me suis alors pris soudainement d'empathie pour ce gars. Il avait eu un ton si perdu, il avait eu l'air tellement au fond du trou, que son appel à l'aide avait résonné en moi comme un cri poussé dans une église, d'un croyant s'adressant à Dieu, désespéré de ne pas être récompensé pour ses bonnes actions quotidiennes.

J'ai appuyé légèrement plus fort sur l'accélérateur, embrayé, et passé la quatrième vitesse. Mes phares n'éclairaient pas bien la route, mais je m'en foutais. Il fallait que je trouve le plus vite possible de quoi il retournait.

Une dizaine de minutes plus tard, je suis arrivé à mon hôtel. C'était l'une des seules bonnes choses à Noiret ; il n'y avait pas de gare, mais il y avait un hôtel avec une réception vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Le jour, elle était gérée par le patron, un type désagréable et qui semblait avoir un sérieux problème de racisme, et la nuit c'était un jeune homme typé maghrébin, très sympa, même si son accent trahissait qu'il n'était pas du coin, mais d'une région française un peu moins rurale. Je pouvais pas dormir chez Antoine, car sa chambre d'ami était encore en plein séchage de la deuxième couche de peinture, et, malgré son insistance, dormir sur le canapé m'étais inconcevable. Cela me rappelait trop la période où j'avais emménagé avec mon ex-copine, et que j'avais dû dormir sur le sofa pendant presque un mois. Je reste persuadé que c'est l'une des raisons de notre séparation à peine trois mois plus tard. Elle avait gardé l'appart. Et le sofa.

Quand on rentrait dans le hall de l'hôtel, un petit carillon accroché au dessus de l'encadrement de la porte signalait ta présence. J'avais un peu peur, en arrivant, d'avoir à réveiller le réceptionniste, mais il était tout à fait éveillé ; sur le comptoir, il avait posé une tasse de thé –le petit bout de papier relié à la ficelle, elle-même reliée au sachet dépassait encore, il avait dû l'oublier, trahissait le contenu de la tasse- et lui était visiblement absorbé par un match de foot sur son téléphone.

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