Chapitre 5

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Le capitaine arrive devant la cellule de Ryan et de Feng. Seuls les barreaux gris foncés et froids comme de la glace himalayenne les séparent. Il se tourne vers les deux détenus. Quelque chose de malsain émane de lui. Ses lèvres sont extrêmement blanches et ses doigts bougent un peu trop, comme s'ils avaient envie de serrer ou de déchiqueter. Ses cheveux blonds semblent enduits de gel. Le mot "Danger" brille dans ses pupilles en néon rouge et jaune.

Il enfonce la clé dans la serrure.

Cling. Clang. Clung.

- Je veux parler à mon avocat, dit Ryan en pointant du doigt le policier. Mieux que ça : à mes avocats ! J'ai plein d'avocats.

Le flic ne dit rien. Il fait passer son cure-dent d'un coin de sa bouche à l'autre. Il renifle doucement comme s'il s'enivrait de l'odeur de la pièce.

- Tu savais que les Français font du guacamole avec les avocats ? dit-il d'une voix rauque. C'est peut-être eux qui ont raison.

- Je veux appeler...

- Personne. Je suis le capitaine de ce commissariat et vous allez avoir des problèmes. Une brochette de problèmes. Avec plein de sauce barbecue dessus et même quelques pickles.

- Monsieur, dit Feng en s'avançant, j'avais parfaitement le droit de manifester ! Votre agent a violé mes droits ! Je n'ai pas d'avocat...

- Oh je t'en prête un, dit Ryan. Aucun problème.

- Alors je vais porter plainte contre vous ! dit Feng.

Le flic ignore l'étudiant. Il reste fixé sur Ryan. Feng recule, se penche vers Ryan et chuchote :

- Mais pourquoi a-t-il des lunettes de soleil ? On est à l'intérieur !

- Je pense que c'est pour impressionner, répond Ryan. Je fais souvent ça, ça établit une distance menaçante et mystérieuse qui casse l'égalité relationnelle. En cachant les yeux, on porte un coup, on signifie "Moi je te vois mais pas toi, donc je commande". C'est totalement un truc de pouvoir qui n'est pas sans risque car je me cogne régulièrement les genoux et la hanche. Mais je m'en fous j'ai un kiné exceptionnel.

- Il paraît que vous racontez des conneries à tout le monde sur une invasion extraterrestre ? dit le flic.

- Pas moi, monsieur le directeur, dit Feng. Je ne crois qu'à l'oppression capitaliste.

Ryan sait que le policier est là pour lui. Mais il refuse de se taire et d'abandonner le combat.

- Oui je pense que des extraterrestres ont envahi la Terre, dit-il. C'est une hypothèse solide. Aussi solide que le corps d'un postier mort.

Il se tourne vers Feng et ajoute :

- D'ailleurs j'ai une nouvelle hypothèse : les capitalistes et les racistes sont peut-être des extraterrestres. Ça concilie ton analyse et la mienne. Je trouve ça pas mal.

- Mais Ryan, ça n'a pas de sens ! dit Feng. Pourquoi aller chercher des oppresseurs et des connards d'une autre planète alors qu'il y en a déjà plein ici ?

- Parfois les merdes s'accumulent comme dans toutes les couches d'un double Big Mac. Crois-moi.

- Je n'aime pas que vous racontiez ça, dit le flic. Ça trouble l'ordre public. MON ordre public.

- Je vais payer la caution, et voilà, dit Ryan. Et celle de Feng. Parce que Feng se bat pour une cause juste : sa mère est femme de ménage dans un hôtel de luxe et ses conditions de travail sont indignes. Alors peut-être que vous vous en moquez parce que vous avez un salaire de flic, mais beaucoup de gens risquent de se retrouver dans des hôtels pour les classes moyennes si ça continue. Et puis c'est dégueulasse votre cure-dent, il n'y a pas des règles d'hygiène dans la police ?

- J'aime bien piquer quelques olives à l'apéro, dit le policier avec un sourire pervers.

- Ok, ça suffit, on sort. Vous êtes déplaisant.

Le flic barre la sortie de la cellule.

- Vous ne sortez pas.

- On ne va pas rester toute notre vie ici, dit Ryan. Soyez raisonnable.

- Non, vous allez là.

Le flic pointe son doigt vers son ventre.

- Scientifiquement c'est n'importe quoi, on ne peut pas aller dans votre ventre, dit Feng.

- On va voir ça.

Le flic passe sa main droite sur le bas de son visage. Comme s'il se grattait. Ses doigts s'enfoncent dans sa peau. Ryan a mal pour lui. Et tout à coup, le flic arrache la peau de son visage.

C'est un masque.

Feng et Ryan sont stupéfaits et pétrifiés. Ce visage n'a rien d'humain. Ils se tiennent par les mains, collés l'un à l'autre. Leur coeur bat à l'unisson aussi fort que le carillon d'un monastère catholique le jour de l'annonce d'un nouveau pape.

Il leur faut quelques secondes pour vraiment comprendre ce qu'ils voient.

Ce visage est comme une réminiscence d'un cauchemar. C'est un mélange de gueule de lézard avec de grands yeux globuleux et des dents acérés.

- J'en étais sûr ! dit Ryan.

- Oh merde, dit Feng. Mais on va faire quoi ? Il va nous tuer !

- Ne t'inquiète pas, j'ai fait beaucoup de pompes et d'abdos, dit Ryan.

Il se précipite sur le flic extraterrestre et le frappe au visage. Mais celui-ci ne semble pas ressentir la moindre douleur. D'un mouvement du bras, il envoie valser Ryan à l'autre bout de la cellule. Sa force est colossale. Il ouvre se bouche pleine de dents pointues. Une langue rouge comme une Ferrari apparaît. Feng lui lance les draps et les menus objets de la cellule. Ryan se relève et arrache la cuvette des toilettes en inox. Comme quoi ses exercices à la kettlebell n'ont pas été vains. Il lève les chiottes au dessus de sa tête et les lance sur l'extraterrestre. Celui-ci est déséquilibré et se cogne au mur derrière lui. Ça fait un sacré boucan. Feng et Ryan en profitent pour sortir de la cellule. Ils prennent le couloir et se précipitent vers la porte qui donne sur le commissariat.

Fermée. Feng secoue la poignée et crie, Ryan donne de grands coups de pieds dans la porte. Sans résultat. À l'autre bout du couloir le flic extraterrestre commence à se relever.

La porte s'ouvre d'un coup. C'est Audre Davis, la flic afro-américaine qui a arrêté Ryan, notre héros caucasien. Arme en main. Elle tient Ryan et Feng en joue.

- Mais punaise que se passe-t-il ici ? Mike ? Tu vas bien ?

Elle plaque Ryan et Feng contre le mur. Elle regarde son boss. Encore plié en deux, il lève son visage dans sa direction. Les yeux de Audre Davis s'écarquillent de terreur et ses mains deviennent moites comme cette fois où son mari lui a dit qu'il voulait un deuxième enfant.

- Je viens d'une autre planète, dit-il. Très lointaine. Et je ne suis pas seul. Nous sommes ici pour vous envahir et prendre le contrôle de la Terre !

Il éclate d'un rire terrifiant en rejetant légèrement la tête en arrière.

Audre Davis enlève la sécurité de son révolver et relève la gâchette. Elle pointe son arme vers celui qu'elle croyait être son collègue, son partenaire de lutte mexicaine et le parrain de sa nièce asthmatique.

Ryan Gosling contre-attaqueWhere stories live. Discover now