- Chapitre II - Un détour mémorable

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Lana, ses parents et Maître Erkad se levèrent à l'aube non sans difficulté : en tant que membres de la dynastie gouvernante, il était impensable de se dérober à la cérémonie de l'Émergence Céleste. Celle-ci se déroulait dans le centre de la capitale. La présence de la famille régnante lors de cette célébration en l'honneur de Starnuzac était indispensable. Il ne s'agissait pas seulement de garantir son déroulement - le Roi et sa famille devaient aussi profiter de ce moment pour réaffirmer leur relation unique avec leurs sujets. Se déplaçant à bord d'un élégant carrosse doré -tracté par les six plus belles juments du Royaume-, la pieuse famille se réjouissait de renouveler son allégeance au Dieu suprême des Dynesiens. L'Ouvrage Incandescent ne donnait aucune indication à propos de cette cérémonie - mais cette fête était très populaire. Tout le monde se déplaçait avec joie pour assister au concours de chants sacrés, qui se déroulait à la fin de la cérémonie. 

Starnuzac devait se sentir à son aise en cette journée dédiée à son existence supérieure : Le ciel était débarrassé de toute empreinte nuageuse et le soleil brûlant se prélassait dans son incommensurable pré-carré. Mais Lana espérait revoir son ami introverti au plus vite ! La jeune femme se montrait taciturne et se figeait sur son siège comme un esprit réincarné ; elle n'était guère friande des divagations oiseuses qui portaient sur ses « vrais rapports » avec Lanon. Quand ses parents s'hasardaient à la noyer sous un flot de questions aussi inintéressantes, Lana ne tardait jamais à sortir de ses gonds. Ces interrogatoires à l'emporte-pièce la gênaient au plus haut point. De plus, ces échanges inutiles aboutissaient toujours à une impasse et ne satisfaisaient donc personne. Ses parents pouvaient-ils seulement comprendre son agacement légitime ? Une jeune femme ne pouvait-elle fréquenter un précieux ami sans le convertir en amant caché ?

« Je présume que tu ne nous révéleras pas encore le fond de ta pensée, Lana » ? lui demanda sèchement sa mère.
Cette dernière était assise sur la même banquette que son mari. À l'extérieur, les juments poussaient des hennissements orgueilleux. Le regard pensif de Lana ne trompait sans doute pas ses parents. Ils devinaient que leur fille songeait à l'insignifiant Lanon... Quant à eux, ils avaient une intention évidente : l'exhorter à se trouver un "projet d'alliance matrimoniale solide" ! Lana préféra tuer dans l'œuf cet impossible débat.

« Ah ! Mais laissez-moi voguer en paix dans mes pensées ! En tant que future Reine, je suis aussi l'unique souveraine des... des songeries qui m'abritent. »

Lana se détourna de ses parents hébétés et contempla, depuis sa fenêtre, l'accotement luxuriant que longeait la calèche. Les propriétés luxueuses de la noblesse apparaissaient déjà sur la route avec leur florilège de colonnes. Ses parents ne comprenaient-ils pas qu'ils tourmentaient leur fille en croyant l'aider ? Son père lui jeta un regard strict en ajoutant :

« Nous n'avons pas l'intention de te blesser, Lana. Nous savons que tu n'aimes pas en parler... Mais je n'ai jamais compris ton engouement pour ce jeune prolétaire falot. Je suis même certain qu'il se se tourne souvent les pouces dans son taudis.

Le grand-père désorienté renifla comme un chien malade en s'agitant sur sa banquette. Faisant abstraction de cette nouvelle bizarrerie du Vieil Erkad, Lana s'apprêta à riposter avec vigueur mais fut devancée par sa mère :

—  Par Starnuzac, Jergenst, tu dois aussi comprendre ce que ressent ta fille. Même si nous partageons la même opinion sur les risques d'une mésalliance ! Mais ce jeune homme auquel elle pense est plutôt miséreux. Son père adoptif est un horrible personnage, rappelle-toi. Cet avorton vindicatif est incapable de voir le monde au-delà de ses champs. Il est difficile de ne pas témoigner de la sympathie pour ce pauvre Lanon. Endurer un tel calvaire sans perdre la raison n'est pas à la portée de tout le monde. Ce garçon serait peut-être devenu un artisan, un garde ou commerçant sans la jalousie maladive de cet homme. Certes, nous n'avons pas le droit d'interférer dans les affaires familiales de ce paysan et nous garderons ce cap-là. Je dois reconnaître, malgré tout, que je comprends les préoccupations de notre fille.

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