Chapitre I

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Le pan de ma robe en dentelle soulève la poussière et entraîne les saletés sur son sillage

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Le pan de ma robe en dentelle soulève la poussière et entraîne les saletés sur son sillage. Ça tombe bien, il paraît que les femmes ne sont bonnes qu'à passer le balai.

Mes bottillons claquent à un rythme régulier sur les pierres et se répercutent en écho dans ce long couloir sombre. De quoi réveiller les morts et les vivants qui hantent ces lieux, mais seuls ces derniers s'en plaindront. Quoi que, je ne néglige pas la possibilité d'une miraculeuse résurrection. Avec moi, tout est possible.

Chaque matin, je traverse ce long boyau insalubre, véritable tube digestif de cet ancien bâtiment réhabilité, avec la même motivation, la même volonté qu'au premier jour. Je ne vais pas cracher dans la soupe qu'on m'a tendu, même si elle est froide, parfois indigeste. Je mesure ma chance à chaque pas, même si cette dernière devrait-être un droit et non un privilège.

J'avance dans l'obscurité de l'entresol sans crainte, habituée à l'odeur saisissante de l'humidité et de renfermé. En revanche, je ne m'habituerai jamais à ce nouvel éclairage moderne, inconfortable et impersonnel, qui agresse mes rétines, mes nerfs et mon sens de l'esthétisme. Je regrette les habituelles lampes à huile qui accompagnaient jusqu'à lors ce parcours routinier. A présent, des larmes de verre garnies de tiges de fer, - portant le nom barbare de «ampoules» -, aussi étranges que laides, défigurent les murs. Fixées sur de grossiers socles en métal, ces dispositifs appauvrissent le potentiel cabalistique de ce couloir. De quoi passer d'un sublime crépuscule à la crudité d'une lumière zénithale. D'un bonbon au miel à un jus de citron pur sur les papilles, si on cherche une métaphore sensorielle inappropriée mais parlante.

A l'autre bout du chemin, je devine la présence des techniciens qui s'affairent telles des fourmis sous ordre de leur reine pour terminer dans les temps leurs immondes installations. Les bougies au bord de leur casque de chantier virevoltent, semblables à une nuée de lucioles au-dessus d'un marécage. Lorsque j'arrive à leur hauteur, les têtes convergent dans ma direction, toujours aussi curieux de ma présence malgré les semaines passées à accomplir ce même trajet rituel. Tous ne comprennent pas la présence d'une femme «respectable» dans un lieu aussi sordide, à une heure si matinale, non accompagnée de surcroît. Je me garde bien de leur expliquer mon travail, sous peine de les perdre pour de bons dans les méandres de l'incompréhension. Je préfère garder ma salive pour des débats moins stériles avec ceux dont l'ego refuse pourtant de l'être.

Je continue de me faufiler dans cette fourmilière exclusivement masculine, un jeu de lourdes clés en laiton dans mes mains. Je trébuche à moitié sur des morceaux de pierres, zigzague entre les matériaux de cuivre ou d'acier, les jambes et les caisses en bois ou à outils.

Chaque fois, je repère les nouveaux petits employés de l'entreprise Cushing & Co, prête à subir leurs regards sous-entendus, désapprobateurs ou intrigués. Quelques-uns vont tester mes réactions à base de sifflements ou de mots inappropriés, mais déchanteront bien vite lorsqu'ils se heurteront à mon caractère bien trempé. Je suis la baie vitrée sur lesquels les nez s'écrasent, aveuglés par un mauvais reflet.

Macabre - La beauté cachée [EN PAUSE]Where stories live. Discover now