Chapitre 13. Bloqué

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Iphigénie s'était cachée sous l'escalier, ses bras entourant ses genoux et son visage contre ses cuisses.

Ce voyage, décidément, ne contribuait à sauvegarder sa dignité et à la placer dans des situations valorisantes. Entre son refuge sous l'escalier, "Pitchoune" et la pêche aux Nettoyeurs, tout cela commençait à faire beaucoup. A sa décharge, pour cette fois, ce n'était pas comme si elle pouvait y faire grand-chose : l'Enfer s'était abattu autour d'elle.

Des rafales de vent sifflaient et tourbillonnaient au-dehors, tandis que les Néphélés s'agitaient en tous sens.

- Louvoyez entre les boulets ! Je ne veux pas une égratignure sur notre coque ! aboya Nadjka à la poupe, manipulant les vents avec une dextérité magistrale, accompagnée par son second et une poignée d'officiers.

Ils se tenaient tous campés sur le pont arrière, le front luisant de sueurs tandis que leurs bras dansaient devant eux, dessinant des courbes invisibles au commun des mortels. A chacun de leur mouvement, les vents changeaient de direction et la voile se gonflait d'un coup. Toutes ces bourrasques brassées soulevaient la mer qui l'entourait, et Iphigénie du coin de l'œil voyait des vagues se former entre les coques. Elle trembla de plus belle. Son pouvoir et elle semblaient risibles dans une telle tourmente.

Le marin qui maniait la barre, répondit à son capitaine par un « Aye ! » à peine couvert par le vacarme des canons. Miuzaki avait depuis belle lurette abandonné Iphigénie pour courir à son poste après lui avoir beuglé un « A couvert ! Ne bouge pas d'ici ! ». La jeune femme s'était faite un plaisir d'obéir au pied de la lettre. Elle n'avait aucune expérience et savait encore moins comment effectuer une manœuvre maritime. Tout ce qu'elle pouvait faire actuellement, c'était espérer ne gêner personne.

Elle devait bien avouer que les Néphélés méritaient amplement leur renommée. Profitant de la brume au-dessus de l'eau, de la faible luminosité et des hauts-fonds qui affleuraient autour des îles entre lesquelles la flotte Néphélée s'était engagée pour rejoindre Port-Salut, les mercenaires du cap de la Tortue avaient tenté une attaque surprise à l'aube. Pourtant, sans aucune once de panique lorsque des navires ennemis avaient surgi, le branle-bas de combat avait sonné et les marins s'étaient mis en action telle une machinerie bien huilée.

Iphigénie enrageait de ne pouvoir avoir une vue d'ensemble. Pourquoi les mercenaires attaquaient-ils si tôt ? Elle tenta de passer sa tête par-dessus le bastingage et vit un boulet foncer vers elle. Une violente bourrasque lancée par une dizaine de Néphélés parvint à contrôler son arrivée et à le dévier avec aisance.

Cette surprise la convainquit de ne plus bouger d'une oreille jusqu'à la fin. Elle rentra à nouveau la tête, main sur les oreilles, au bord des larmes à cause de la fumée de canon qui lui brûlait les yeux. Une boule de poil bondit soudain sur elle.

- Irk, irk !!! glapissait Pistache lorsqu'elle le reconnut enfin.

Le pauvre avait le poil hérissé de peur en tremblant de tous ses membres.Ses grands yeux oranges étaient écarquillés et ne cessaient de jeter des regards affolés dans tous les côtés.

- Tu es fou de venir sur le pont ! Tu ne vois pas que ce n'est pas ta place ?

Iphigénie se tut. Après tout, elle était bien là : elle n'était donc peut-être pas la meilleure personne pour faire des commentaires. Il n'y avait aucune trace de Kratein. En songeant à lui, la jeune femme serra la main sur sa canne, étonnant fourreau pour sa lame et redouta d'avoir à s'en servir. Un stage de quelques mois avec cette ordure de Kratein ne rendait pas une fille comme elle spécialiste en escrime. Du coup, s'il devait y avoir un abordage, elle ne se donnait pas cinq secondes et encore, elle était généreuse. 

Iphigénie [Tome 2. La Traversée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant