11. Shana

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La sortie en minibus me remplit de joie.
Je n'avais jamais pris un tel moyen de transport, avant. Du moins je ne crois pas.
Nous sommes six à nous déplacer, en dehors de nos accompagnateurs. Je me suis assise à côté d'Antoine, comme pour m'assurer sa protection. Impossible d'y aller à pied, a dit Rosie, ils sont trop peu nombreux pour nous surveiller.
Je ne suis pas très à l'aise en voiture, mais le trajet est bien trop court pour s'en plaindre.
Les enfants nous attendent déjà dans la bibliothèque, assis en rond, sagement. Ils ont entre six et dix ans, me souffle Antoine. Je suis un peu impressionnée, à vrai dire.
Embêtée, aussi.
Je ne sais jamais comment me comporter avec des enfants. Sans compter cette étrange sensation, au creux de mon estomac, à chaque fois. Comme la manifestation de quelque chose. Un toc-toc mental contre ma boîte crânienne.

Pense, Shana, pense.
Rappelle-toi.

Je vois soudain un petit garçon, à l'écart. Les jambes croisées sous lui, il dessine avec application. Notre agitation ne le perturbe pas, il semble comme moi. Dans sa bulle.
C'est ce qui me décide à l'aborder.

— Bonjour.

Il lève la tête. Je pourrais déceler la tristesse dans n'importe quel sourire, le sien l'est particulièrement.

— Je peux m'asseoir ?

Il acquiesce avant de retourner à son dessin. Je n'ai pas envie de le déranger, alors je sors mon cahier et emprunte l'un des crayons de couleur qui se trouve sur la table pour l'imiter. Je vois ses yeux noirs aller de sa feuille à la mienne. Je serais bien incapable de lui donner un âge.

— Comment tu t'appelles ?
— Shana. Et toi ?
— Carl.

Je lui tends la main, il la serre avec sérieux.

— Tu dessines quoi ?
— J'aimerais te représenter, toi. Tu veux bien ?

Il ouvre grand ses yeux, son visage s'éclaire.

— Attends.

Il passe ses doigts dans ses cheveux, comme pour se recoiffer. Puis il pose son crayon et s'immobilise.

— Vas-y.

Amusée, j'obéis. Mon crayon glisse tout seul sur le papier. Facile, j'adore retranscrire ce que je vois. L'écriture a pris le relais depuis, ça devenait trop compliqué d'esquisser le quotidien. Trop long, trop risqué. Mais parfois, j'aime recommencer. Je dessine ses yeux bridés, son petit nez en trompette, ses lèvres fines. Il ne bouge pas d'un pouce, si bien que je ne peux m'empêcher de rire un peu.

— Tu as le droit de... respirer, tu sais.

Il ne tique pas sur mon hésitation. On dirait qu'il s'en fiche, même.

— La maîtresse a dit qu'on allait voir des personnes malades. Tu es malade, toi ?

J'acquiesce.

— Parfois, je ne me rappelle pas des choses, ou des gens. De temps en temps, je m'en rends compte. D'autres fois... non.

Les cheveux terminés, je m'attaque à ses sourcils.

— Ça te rend triste ?

Je lève les yeux, réfléchis une seconde. À vrai dire, je ne me suis jamais posée aussi directement la question.

— Certains jours, oui. Comme toi.

Je voudrais lui dire qu'il vaut mieux ne pas y penser et plein de jolies choses qui rassurent. Mais je sens que les mots s'envolent à peine effleurés. Alors je me tais.

— C'est vrai. Moi j'ai deux mamans, mais elles s'aiment plus. Heureusement que Tonton Matt peut jouer avec moi, parfois. Tu sais pourquoi les gens s'aiment plus ?

La mine trace le contour de ses prunelles, avant de les colorier.

— Parce que s'aimer, c'est la chose la plus difficile du monde.
— Moi je t'aime bien.

Je lui réponds par un clin d'œil. C'est que je l'apprécie, moi aussi, ce petit bonhomme. Je souffle sur les copeaux laissés par la gomme, pointe mon crayon sur le bas de mon croquis.

— Allez,ne bouge plus, c'est presque terminé.

ÉphémèreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant