9. Shana

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J'ai enfin récupéré mon cahier.
Je me sentais nue, sans lui. Il est comme un doudou depuis que je le noircis tous les jours. Je n'y écris pas grand-chose, juste ce qui me paraît important. On m'a conseillé d'y raconter mes journées, mais cet exercice m'ennuie. Peut-être que si je les oublie, c'est parce qu'elles n'ont pas le mérite que je m'en rappelle.
Le docteur Lawrence m'a vite reçue. J'aime bien ses lunettes, à peine plus grandes que ses yeux. Elles sont du même argent que ses cheveux, elles se fondent presque sur son visage. Il a pris beaucoup de notes, puisqu'il m'a posé beaucoup de questions.
Ça ne me dérange pas. Si c'est la condition pour ne pas partir, je veux bien m'y plier.
Il parcourt mes propres écrits maintenant. Hoche la tête à intervalles réguliers.

— Bon, il semblerait que tout aille bien, Shana. Nous allons demeurer vigilants, toutefois. Au cas où les symptômes d'un stress post-traumatique se déclenchent. Comment te sens-tu, par rapport à cela ?
— Bien. Je... je n'y pense pas vraiment.

Il me rend mon sourire. Est-ce qu'il a pu déceler que mon cerveau trie déjà, là-haut ?

— La maladie semble avoir progressé, mais elle reste encore discrète. Je lis dans le rapport ici que tu oublies des noms, tu n'as remarqué aucun autre symptôme depuis ton arrivée ?
— Je... ne crois pas. Je cherche mes mots, parfois.
— Rien d'inquiétant. Tiens.

Je reprends mon journal, avec soulagement. Il écrit de nouveau quelque chose, puis ferme le dossier à sa gauche. SHANA LEWIS se détache en grandes lettres noires sur la page de garde.
Je me demande ce que ça ferait d'oublier son propre nom.

— Tu devrais continuer de participer aux activités du Foyer. Tu pourrais accompagner le groupe demain, à l'école d'à côté ? Les enfants aident à maintenir un lien.
— Bien sûr.

Cette idée m'enchante, même. Chez Irène, je ne peux jamais sortir.
Elle craint que je me perde, elle a peut-être raison. Ici au moins, je ne suis pas seule. Il m'autorise à partir, je retiens la question qui me brûle les lèvres.
Puis n'y tiens plus.

— Docteur Lawrence ?
— Oui ?
— Il y avait beaucoup de... de...

Je cherche le mot, et cela me frustre. Souvent, il s'échappe juste lorsque j'ai besoin de le faire sortir et ensuite, difficile de le rattraper.
Bon, pas de panique. Je prends une profonde inspiration, comme on me l'a conseillé, et je rejoue la scène dans ma tête. La pelouse humide, Emmett, les murs blancs de la chapelle.
Les bougies, Rosie, la police. Ça y est !

— De lucioles. Est-ce qu'elles sont souvent là ?

Il me regarde, ses pupilles par-dessus ses lunettes baissées. Ma question ne semble pas susciter un quelconque intérêt, chez lui.

— Je n'en ai jamais vu, jusqu'à maintenant. Est-ce que cela te trouble ?
— Non. Je les trouve juste... jolies.

Il se contente de me sourire de nouveau et commence à rassembler ses feuilles, ses doigts volent sur son clavier.
Je comprends qu'il est temps de m'éclipser.

*

Journal de Shana Lewis
Bleu, rouge.
Les lucioles n'existent pas.

ÉphémèreWhere stories live. Discover now