La salle des sacrifices souterrains

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La salle des sacrifices souterrains

Vorski n'avait jamais eu peur, et peut-être, en prenant la fuite, n'obéissait-il pas à un sentiment de peur réelle. Mais il ne savait plus ce qu'il faisait. Dans l'effarement de son cerveau c'était un tourbillon d'idées contradictoires et incohérentes où dominait l'intuition d'une défaite irrémédiable et, en quelque manière, surnaturelle.

Croyant aux sortilèges et aux prodiges, il avait l'impression que l'homme du Destin qu'était Vorski se trouvait déchu de sa mission et remplacé par un nouvel élu du Destin. Il y avait, l'une en face de l'autre, deux forces miraculeuses, l'une émanant de lui, Vorski, l'autre émanant du vieux Druide, et la seconde absorbait la première. La résurrection de Véronique, la personnalité du vieux Druide, les discours, les plaisanteries, les pirouettes, les actes, l'invulnérabilité de ce personnage funambulesque, tout cela lui semblait magique et fabuleux, et créait, dans ces cavernes des temps barbares, une atmosphère spéciale qui le détraquait et l'étouffait.

Il avait hâte de remonter à la surface de la terre. Il voulait respirer et voir. Et ce qu'il voulait voir, avant tout, c'était l'arbre dénudé de branches auquel il avait attaché Véronique et sur lequel Véronique avait expiré.

– Car elle est bien morte, grinçait-il, en rampant au creux de l'étroit passage qui communiquait avec la troisième et la plus grande des cryptes... Elle est bien morte... Je sais ce que c'est que la mort... La mort, j'ai tenu ça souvent entre mes mains et je ne m'y trompe pas. Alors, comment ce démon a-t-il pu la ressusciter ?

Il s'arrêta brusquement près du billot où il avait ramassé le sceptre.

– À moins que..., dit-il.

Conrad qui le suivait, s'écria :

– Dépêchez-vous donc au lieu de bavarder.

Vorski se laissa entraîner, mais, tout en marchant, il continuait :

– Veux-tu que je te dise mon idée, Conrad ? Eh bien, la femme qu'on nous a montrée et qui dormait, ce n'était pas elle. Vivait-elle seulement, celle-là ? Ah ! ce vieux sorcier est capable de tout. Il aura modelé quelque image... une poupée de cire à laquelle il aura donné la ressemblance.

– Vous êtes fou. Marchez donc !

– Je ne suis pas fou. Cette femme ne vivait pas. Celle qui est morte sur l'arbre est bien morte. Et tu la retrouveras là-haut, je t'en réponds. Des miracles, oui, mais pas un tel miracle !...

N'ayant plus leur lanterne, les trois complices se heurtaient aux murs et aux pierres droites. Leurs pas résonnaient de voûte en voûte. Conrad ne cessait de grogner.

– Je vous avais prévenu... il fallait lui casser la tête.

Otto, lui, se taisait, essoufflé par la course.

Ils arrivèrent ainsi, en tâtonnant, au vestibule qui précédait la crypte d'entrée, et ils furent assez surpris de constater que cette première salle était obscure, bien que le passage qu'ils y avaient creusé à la partie supérieure, sous les racines du chêne mort, eût dû répandre une certaine clarté.

– C'est bizarre, dit Conrad.

– Bah ! répliqua Otto, il s'agit seulement de trouver l'escalier qui s'accroche au mur. Tiens, j'y suis, voilà une marche... et puis la suivante...

Il escalada ces marches, mais presque aussitôt fut arrêté.

– Pas moyen d'avancer... on dirait qu'il y a eu un éboulement.

– Impossible ! objecta Vorski. D'ailleurs, attends... j'oubliais... j'ai mon briquet.

Il alluma ce briquet, et un même cri de colère leur échappa à tous les trois : tout le haut de l'escalier et la moitié de la salle étaient ensevelis sous un amas de pierres et de sable, au milieu duquel avait glissé le tronc du chêne mort. Aucune chance de fuite ne leur restait.

L'Île aux trente cercueils  (COMPLETE)Dove le storie prendono vita. Scoprilo ora