Chapitre 11

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Il avait ouvert la fenêtre en grand, laissant la lumière inonder le salon et la toute petite cuisine. L'espace qu'il possédait était juste suffisant pour ce qu'il en faisait. La commode à l'entrée lui permettait de tasser ses chaussures et sacs. Le porte-manteau récemment installé de l'autre côté de la porte ployait sous le poids des deux blousons. Sombres tous les deux, l'un ne lui appartenait pourtant pas, et, par réflexe, il jeta un coup d'œil au corps qui se terrait sous le plaid minable, à même le sol.

Ses cheveux rassemblés sur son crâne avec un élastique, Éric posa sa tasse de café sur le comptoir. Le dimanche précédent, son état, plus que la présence de cet homme, ne lui avait pas permis de s'adonner à sa routine matinale.

Lentement, il fit tourner l'articulation de ses épaules, observant le mouvement de ses mains qui se balançaient au bout de ses bras. Puis les jambes, les mollets, les chevilles. Les poignets. C'était une routine qu'il connaissait par cœur, qui s'enchainait. Ses pieds glissaient sur le parquet, mis à mal par les locataires précédents, et il se hissait sur ses pointes, répétant inlassablement les mêmes mouvements que chaque jour qui passait. Un bras qui s'allongeait. Un autre qui se levait. Tendre une jambe, l'élever. Lentement, le plus lentement possible, et répéter, jusqu'à sentir la brûlure dans chaque fibre de ses membres. Cambrer. Contracter les muscles les uns après les autres, tordre le corps pour lui donner la forme, l'intonation. Il n'avait pas la place pour faire ce qu'il voulait, pour effectuer les mouvements exacts qu'il aimait tant. Aussi, quand il accéléra ses enchaînements, il retint un juron.

Un chassé mal exécuté le fit grimacer. Quand sa jambe glissa brusquement sur un reste de vernis qui ornait le parquet au mauvais endroit, et qu'il se retrouva avec ses jambes de part et d'autre de son corps dans un grand écart malencontreux, il ne se retint pas cette fois.

« Putain de merde !

Ce n'était pas la douleur qui l'emportait ainsi, au milieu du silence qui résonnait dans le salon. Ce n'était pas une position qui le faisait souffrir, même au réveil, même par accident. Il était habitué, ses articulations et ses muscles travaillés depuis presque trente années, son corps rôdé à l'exercice. Aux mouvements. A la danse, difficile et pourtant l'exutoire le plus important qu'il ait connu de toute sa vie. Un moyen d'expression si vaste, qu'il était facile de se perdre dans la contemplation des artistes et de tout ce qu'ils voulaient hurler à travers un seul geste.

Alors, ce qui le remuait ce matin-là, c'était...la frustration.

-Mh...Ça va ?

Éric sursauta quand la voix s'éleva, basse et rauque, à travers la pièce. Ravalant les sentiments mitigés qui coulaient dans ses veines et envahissaient ses idées, il bascula lentement, ramena ses jambes dans un mouvement plus vif et les croisa devant lui.

-Ouais. Je t'ai réveillé ?

Il y eut un petit grognement. Théodore avait à peine la tête qui dépassait du plaid, et il ne tarderait probablement pas à faire entendre son mécontentement à dormir sur ce qui, fut un temps, avait été un matelas gonflable. Éric avait depuis longtemps perdu le petit bouchon qui en bloquait la valve d'air. Il ne savait pas vraiment pourquoi il gardait cette chose, peut-être parce que, les deux premières nuits, ce matelas de quelques millimètres d'épaisseur avait été son propre lit ?

- Ça ou la lumière...soupira l'homme.

Ses cheveux blonds frôlaient le sol. Ils étaient trop courts pour s'y répandre.

C'était différent du week-end précédent, quand il avait trouvé l'homme assis sur le bord du canapé, perdu et agrippé à son téléphone, engoncé dans ses vêtements de soirée. Quand Théodore se redressa, baillant et pestant contre la migraine qui pointait déjà son nez, force était de constater qu'il avait abandonné sa chemise dans la nuit. Au moins, songea Éric, son pantalon était toujours là. Ses chaussures trainaient dans l'entrée.

Ma femme s'appelle Eric [Passion au Manoir Pourpre 1] [édité]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant