Chapitre 3

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Les lumières brillaient, à la fois chatoyantes et agressives. Dans le quartier le plus agité et coloré de la ville, les bars et clubs s'élevaient à chaque coin de rue, rassemblant une communauté LGBTQ+ comme on attirait une nuée d'insectes sur une lampe bleuâtre durant les courtes nuits d'été. Dans ce quartier, il y en avait pour tous les goûts. Avec les années, les nombreux évènements et l'émancipation qui en résultait, qui tendaient à se propager dans le milieu, la surveillance de ces quartiers populaires s'était accrue sur les derniers temps. Mais personne n'y trouvait rien à redire. Car, après tout, où la surveillance n'avait-elle pas été renforcée, s'il fallait être honnête ?

Au milieu des autres groupes, ils passèrent plutôt inaperçus lorsqu'ils descendirent du taxi, à l'autre bout du quartier. Les rues étaient éclairées à outrance, comme à chaque fois. La chaussée était pavée, ridiculisant simplement les talons aiguilles qui s'y risquaient. A partir du premier hôtel grand luxe qui faisait l'angle, les voitures n'étaient plus autorisées à la circulation. Le quartier entier était réservé aux piétons, réduisant les risques d'accidents. Le plus délicat était peut-être, en fin de soirée, quand il s'agissait de trouver un taxi et d'être capable d'arriver jusqu'à celui-ci, quand ils étaient trop imbibés d'alcool pour y parvenir. C'était la raison principale pour laquelle ils se déplaçaient toujours en groupe. Ils avaient bien besoin qu'un ou deux d'entre eux soient encore capables de traîner les cadavres des autres jusqu'au taxi à travers l'avenue piétonne.

Pas, ou plus tellement, par peur des agressions. Elles faisaient partie du lot quotidien. Non pas qu'ils n'aient pas de craintes, loin de là. Les lois, la surveillance revue, rien de toutes ces mises en place n'avait pu changer la dangerosité des sorties nocturnes. Mais il y avait ce moment, celui où, en ce qui les concernait, il avait fallu faire un choix. Avoir une vie et la vivre, ou rester enfermer chez soi, à boire des martini faits maison et mal dosés dans leurs petits appartements ad vitam eternam. Rien de bien réjouissant. Du moins, rien de particulièrement glorieux lorsqu'on s'appelait Richard et Kyle, les deux compères menant le groupe d'un pas alerte dans les rues illuminées qu'ils connaissaient si bien. Cemal, Yannick et Théo suivaient à bon rythme, les mains au fond de leurs poches pour se protéger du froid.

C'était Kyle, qui avait vécu le premier l'hypocrisie de cette soi-disant surveillance nocturne. Avec ses boucles blondes et son minois encore faussement juvénile, malgré sa trentaine passée, il était le prédateur du groupe. Du moins, Richard le surnommait ainsi, avec un rictus entendu et connaisseur. Il sortait souvent seul, et il y avait longtemps que ses camarades avaient perdus le compte de ses conquêtes d'une nuit. Ou, juste, celles d'une soirée, d'une heure. Quand Kyle se décidait à glisser sur les pistes et suivre le rythme des DJs, Théo avait toujours le sentiment d'observer un serpent chassant et s'enroulant autour de sa proie, si quelqu'un avait le malheur d'approcher avec un quelconque intérêt.

C'était, il fallait l'avouer, hypnotisant à regarder. Et diablement efficace. Il savait y faire. Il savait, tout simplement, si le type en face lui plaisait suffisamment pour qu'il décide de lui dédier sa soirée, et, pourquoi pas, une partie de sa nuit. Il ne s'attachait pas, ou peu, ne revenait pas sur une conquête déjà consommée, selon ses propres mots. Une fois, si, peut-être, parce qu'il était tellement rond qu'il n'avait pas remarqué déjà connaître le type en question. Les autres l'avaient laissé faire. C'était son problème, pas le leur.

Mais, ils en étaient tous conscients, ce genre de comportement avait ses limites. Et, un soir, il n'était pas rentré avec les autres, prévoyant un taxi pour le retour. Il voulait profiter plus longtemps de la soirée. Sans nouvelle le jour suivant, ils avaient alerté la gendarmerie. Oh, il n'avait pas fallu longtemps pour le retrouver, une fois en plein jour. Entre l'alcool qui l'empêchait de bouger et, plus tard selon son témoignage et les examens, les drogues glissées dans les boissons généreusement offertes, il avait été une proie rêvée pour un passage à tabac dans les règles. Cette nuit-là, le chasseur était devenu la proie, d'une manière pour le moins désagréable et douloureuse.

Ma femme s'appelle Eric [Passion au Manoir Pourpre 1] [édité]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant