5. Reviens-moi...

36 2 2
                                    

              J'ai froid. La pièce est humide, inconfortable. Le sol est gelé, sale et imprécis. Le silence domine, pas même le bruit du vent ne vient troubler ce calme oppressant. Tout est noir, aucune lumière ne transperce les ténèbres de cette pièce si peu accueillante. C'est une prison, ma prison, celle dans laquelle m'a jetée le pire monstre que je connaisse, mon père. Néanmoins, cela m'est égal. Le pire est sans aucun doute la douleur. La douleur tranchante de la trahison d'une personne si chère à mon cœur que j'ai -il n'y a pourtant pas si longtemps- aimé d'une telle force que j'aurais pu me laisser tomber entre les mains du diable en personne, sans réfléchir plus d'une seconde, si c'était pour lui permettre d'être libre. Libéré de cette peur incessante qui l'anime depuis sa transformation, remontant aujourd'hui à plus de cinq siècles. Tant d'années à tenter d'échapper à sa nature surhumaine, à ses instincts sanglants, à sa soif de sang. Puisque oui, depuis toujours je suis persuadée que l'on peut changer. Tout le monde peut se battre contre ce qu'il est pour choisir celui qu'il veut devenir. Même un vampire. Oui, j'ai toujours eu foi en William, et j'ai eu raison. Il a réussi, avec du temps et beaucoup de patience, à repousser son désir incessant de se nourrir du fluide vital qui court dans les veines des êtres humains. Néanmoins, il n'a jamais cessé d'avoir peur de sombrer à nouveau dans la dépendance et ainsi, de se remettre à tuer. Or, je lui avais promis qu'il n'aurait plus jamais à subir cela. Mais j'ai failli à ma promesse. Cela fait maintenant sept ou huit mois que nous nous sommes perdus de vue. J'ai même oublié la raison de cette énième dispute, encore un sujet bien trop banal, comme nous en avons l'habitude. Je ne comprends pas ce qu'il nous arrive, autrefois nous étions pourtant si complémentaires, si heureux, si... Tout semblait parfait alors qu'a-t-il bien pu se produire pour que nous en arrivions là ? Je n'aurais jamais dû le laisser, c'était ma responsabilité de veiller sur lui et de l'empêcher de se laisser dépasser par ses pulsions sanguinaires. Tout est de ma faute si nous en sommes arrivés là aujourd'hui. C'est ma faute s'il s'est retourné vers cette... traîtresse de Lexy. Elle l'a toujours mené par le bout du nez, elle a toujours voulu qu'il redevienne celui qu'il a été, le célèbre « bloody killer », et grâce à moi, elle a fini par atteindre son objectif. Je me redresse légèrement, pour m'appuyer un peu mieux contre le mur de pierre froid, dans lequel sont gravés toutes sortes de signes divers et variés. Parfois des traces de griffes, plus ou moins profondes. A vue d'œil, des loups-garous. Principalement des jeunes - selon le peu d'épaisseur des marques - qui ont sans aucun doute tenté de s'échapper, ou qui ont fini par sombrer dans la folie, après les incessantes tortures infligées par mon tendre géniteur. On trouve aussi des taches de sang, infiltrées dans la pierre depuis ce qui doit être, une éternité. Ou encore, çà et là, des traits comme pour compter les jours passés, enfermé dans cet endroit lugubre. Je dois sortir d'ici avant de perdre la boule, ou autre chose... Mais malheureusement, cela n'est pas chose aisée étant donné la porte en argent blindée, parfaite pour retenir même le plus enragé des loups-garous, et le fait que je n'en sois pas un n'enlève rien à la difficulté de traverser une telle épaisseur. Sans parler du produit à base de je ne sais quoi que l'on a pris soin de m'injecter, qui m'a considérablement affaiblie, m'empêchant de me servir de mes pouvoirs. Pour une fois, je ne vois aucune échappatoire...

             Soudain, le calme est rompu. Des éclats de voix me parviennent, confus et indistincts, mais selon leur timbre grave, des hommes. Néanmoins, la fatigue m'empêche de me concentrer pour en déterminer le nombre. J'attends alors, patiemment, le dos droit, les jambes croisées, le regard fier et déterminé. Mais ce n'est qu'en apparence. Les pas se rapprochent peu à peu. Les voix se font plus claires, plus précises. Encore quelques secondes avant qu'ils n'arrivent à ma hauteur. Les battements de mon cœur s'accélèrent. Mes pensées se superposent, s'entrechoquent, se contredisent. Qui est-ce ? Que veulent-ils ? Dois-je m'inquiéter ? Non. Je dois me calmer, cesser de me torturer. Ces inquiétudes sont inutiles, j'ai déjà vécu pire. Ce n'est pas parce que je suis dans l'antre de mon géniteur que cela change quoi que ce soit. Ce n'est pas bien différent de mes rencontres avec ses sbires, tout au long de ces cinq dernières années, suite à ma prise de conscience concernant mes facultés si particulières. J'ai vécu des événements imprévus, dangereux, effrayants et même parfois, presque mortels. En effet, en y repensant, j'ai bien dû risquer ma vie au moins une bonne centaine de fois, certaines plus que d'autres et je m'en suis souvent sortie de justesse, mais rarement seule, j'ai toujours pu compter sur mes amis, jusque-là. Malheureusement, cette fois, c'est plus compliqué. Habituellement, ils avaient toujours la possibilité de me localiser ou je les prévenais avant de ma destination, mais ici, sur le territoire le plus peuplé en créatures surnaturelles, je dirai même, au cœur de l'activité surnaturelle, là où mon ancêtre les a tous réunis, c'est une chose impossible. D'après ce que j'ai pu voir -l'ayant cherché pendant si longtemps-, malgré ce que l'on peut penser, une si grande concentration d'énergie n'est pas si facile à trouver. Selon moi, étant donné le nombre important de sorcières des plus expérimentées, ce n'est pas très étonnant. D'autant plus que si un endroit comme celui-ci venait à être découvert par des êtres humains mal intentionnés, ce serait un vrai carnage. Peut-être même encore pire qu'avec mon père parce que lui au moins, il ne me semble pas qu'il fasse des expériences sur les nôtres ou qu'il veuille nous anéantir, au contraire. J'ignore quelles sont la plupart de ces intentions, mais l'extermination de notre race n'en fait sûrement pas partie, cela lui serait défavorable à coup sûr. Je suis brusquement tirée de mes pensées par un bruit de clé dans la serrure. La lourde porte se met alors à s'ouvrir, lentement, comme pour prolonger mon supplice. Les grincements me hérissent le poil, je me sens alors comme une petite souris, prise au piège entre les puissantes griffes du chat. La lumière filtre alors peu à peu et vient agresser mes iris, devenu sensibles à cause du temps passé dans l'obscurité profonde, elle m'aveugle et me force à porter ma main à mes yeux pour tenter de les protéger.

Des idées plein la têteWhere stories live. Discover now