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L'un des petits plaisirs d'Anthony, depuis qu'il vit à Pau, est de passer en contrebas de l'immeuble dans lequel il vit, pour rejoindre son travail. Il aime marcher lentement, dans le parc, et lever l'air de rien les yeux vers ses fenêtres, en murmurant avec fierté : « Ici, c'est chez moi. » C'est toujours au même lieu, sur le petit chemin, qu'il se fait cette remarque, satisfait comme au premier jour d'être logé par son entreprise dans un endroit si agréable. Et ensuite, invariablement, il surveille l'heure sur son téléphone, puis observe les arbres et le ciel. Comme lors de son réveil, les lieux sont inhabituellement calmes. Les oiseaux, mais aussi les nombreux chats occupant la pelouse en temps normal, sont absents. Il se demande s'il y a une relation de cause à effet entre ces deux événements. Ce serait logique, après tout... Les félins pourraient avoir suivi leurs proies là où elles se sont mystérieusement déplacées.

L'autre petit plaisir d'Anthony, au moment de rejoindre son bureau, est de s'accorder un détour par la Promenade des Pyrénées. Aucune rue en France, selon les palois, n'est capable de rivaliser avec cet incroyable panorama. Et il ne viendrait à l'idée de personne de les contredire. Qu'il pleuve ou qu'il vente, Anthony ne renonce donc jamais à ce court rendez-vous avec les montagnes. Sur le large trottoir situé en haut d'une falaise, il ralentit sa marche et les observe. La chaîne entière des Pyrénées se dresse, majestueuse et lointaine, et selon l'époque elle est recouverte de neige ou pas. Aujourd'hui, printemps oblige, seuls ses pics sont encore blancs. Et la magnifique lumière de cette journée ensoleillée les met en valeur. Comme chaque jour ou presque, il se promet d'aller bientôt y randonner. Mais là encore, il ne se berce pas d'illusions : louer une voiture, prendre le risque de se perdre, et surtout n'être accompagné de personne pour jouir autrement qu'en solitaire de ces paysages, sont des freins suffisants pour repousser semaine après semaine cette courte excursion. Ce week-end comme tous les autres, sans aucun doute, c'est devant sa console qu'il passera le plus clair de son temps. Et peut-être un peu aussi au cinéma, si un film l'attire.

En arrivant au niveau du petit funiculaire permettant à ceux qui souhaitent aller à la gare de la rejoindre en descendant le long de la falaise, il comprend enfin ce qui se passe depuis ce matin : des milliers d'oiseaux sont rassemblés sur les rambardes et le trottoir, et couvrent le sol en donnant l'illusion d'un étrange tapis multicolore. Le tout dans un étonnant et impressionnant silence. Ils forment une immense masse compacte, et semblent attendre un quelconque événement, de même que les nombreux badauds qui se sont arrêtés pour les observer. Chacun y va de sa tentative d'explication, mais personne ne se souvient avoir jamais observé un tel phénomène. Les humains, en tous cas, se tiennent à distance respectable, curieux et légèrement craintifs, et n'osent pas bouger. De différentes tailles, les moineaux, pigeons, merles, pies buses et autres espèces sont mélangés et remuent nerveusement leurs pattes et leurs becs. Ce sont d'ailleurs là, outre les chuchotements de quelques témoins, les seuls sons qu'on puisse entendre.

Quelques policiers municipaux sont présents également, mais en qualité de témoins plutôt que pour maintenir l'ordre. Et aussi des enfants sur le chemin de l'école, et les clients des cafés alentour, qui ont quitté leur table avec leur tasse à la main. À gauche d'Anthony, une vieille dame qui chaque matin distribue du pain aux pigeons, tente d'engager la conversation avec lui : « Le monde ne tourne plus rond, vous le voyez bien ! Les oiseaux sont très sensibles. S'ils sont venus là, c'est qu'un événement important est sur le point de se produire. Ils vont fuir, croyez-moi. Je suis sûr qu'ils vont tenter de rejoindre les montagnes. Pourquoi, je n'en ai aucune idée... Mais cela n'augure rien de bon ! Un étourneau qui prend des airs de grand migrateur, ça signifie que la nature est foutue. Et nous aussi, par la même occasion. » Ne sachant quoi répondre, Anthony se contente de soulever les épaules et lui sourire poliment. En son for intérieur, en tous cas, il est tenté de lui donner raison. Et si une catastrophe majeure était sur le point de se produire ? L'éruption d'un volcan, un tremblement de terre... Voir tous ces oiseaux réunis et mélangés, malgré leurs différences de corpulence, est un spectacle saisissant. Que se passe-t-il ?

Un dernier baiser avant la fin du mondeDove le storie prendono vita. Scoprilo ora