Morphée

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J'ai rencontré Morphée alors que nous étions enfant.

Peureuse, je craignais l'univers qui m'entourait. Je me sentais mal, mal dans ma peau, mal d'exister, Morphée s'est incrusté en moi et a tatoué de noir mes nuits blanches. Il s'est fait accompagner, que ce soit par les tisanes ou les terreurs nocturnes qui ont cernées mes yeux dès la primaire. Quand j'ai su lire, se sont ajoutés les romans que je dévorais en cachette, à la lueur de la veilleuse. Pas étonnant que mes yeux soient déjà fatiguées et aient besoin de mes lunettes rondes pour percevoir le monde.

En été, Morphée appréciait la douce compagnie de la chaleur étouffante, le grésillement aigu des moustiques, le sentiment de solitude lié à l'enfermement, la lumière excessive, le bruit des fêtes aux alentours. En hiver, il préférait les courants d'airs et les portes qui claquaient, le bourdonnement de la vieille chaudière qui redémarrait, l'obscurité malsaine qui englobait le monde et les frissons glacés qui paralysent même sous la couette épaisse.

Il a toujours été un excellent danseur. Des valses étranges, magiques, lentes et éreintantes. Puis, c'est un bon conteur. Il a une bonne mémoire, surtout pour les mauvaises choses. Il ressasse la négativité, s'en enveloppe et s'en fait des parures magnifiques.

Morphée, c'est aussi un ami, par moment, qui donne de la motivation et de l'inspiration pour écrire, écrire, encore et encore, jusqu'à voir le jour se dessiner, parfois. Ses danses entêtantes tournent dans ma tête comme milles soupirs d'insomnie.

Morphée est l'insomnie, oui. Mais il est aussi bien plus que ça. Il est le besoin d'être à la fois seul et entouré. Celui qui craint le monde et ce qui pourrait lui arriver. Peut-être, aussi, celui qui craint le déséquilibre du sommeil, le bonheur des rêves et le froid des cauchemars. Il n'a jamais aimé le passage du marchand de sable.

Sacré Morphée, qui désire le meilleur comme le pire. Qui m'aime et me hait. Qui s'adore et se déteste. Qui se dévoile avec fierté comme un paon et tremble dans un coin d'ombres.

Morphée douceur, Morphée malheur.

Morphée le beau danseur.

Morphée l'insomnie.

Failles (ou le rantbook d'une ado en noir et blanc)Onde histórias criam vida. Descubra agora