Tu me manquais

30.

Il y a plus de deux heures que Dany est enfermé dans sa chambre. Marc est assez content qu'il prenne un peu d'indépendance. Ces derniers temps il n'a pas eu une minute à lui. Et l'être humain a besoin d'instants de solitude, pour ne pas devenir totalement dingue. Certains ne supportent pas d'être seuls, pourtant ce sont des instants essentiels, simplement pour se retrouver avec soi ! Il va quand même voir ce que trafique son ami.

– Qu'est-ce que tu fais ?

– Tu le sais très bien, Marc.

– Quoi ?

– Tu as placé une application sur mon smartphone qui te permet de voir comment je l'utilise.

Marc vient s'asseoir au bord du lit.

– Tu le sais depuis quand ?

– Depuis le début. N'oublie pas que je me débrouille un peu avec les technologies.

– Tu ne m'en veux pas ?

– Non, je trouve que c'est sympa.

– Alors là il va falloir m'expliquer, parce que si je découvrais qu'on me flique je m'énerverais.

– Tu as tes parents. Ils veillent sur toi depuis que tu es petit. Tu as besoin de liberté parce que tu sais que des gens s'inquiètent pour toi.

– On dirait que tu as déjà beaucoup pensé au sujet.

– Moi je n'ai personne. Mademoiselle Sauge ne me surveillait pas parce qu'elle m'aimait, mais parce que c'était son travail.

Marc ne sait pas vraiment comment réagir. Il aurait préféré que Dany s'énerve, au moins il connaît ce genre de situation et il aurait su répondre.

– Toi tu prends soin de moi, tu me surveilles, tu fais attention. Tu es le premier.

– D'accord, bon, arrête de faire pleurer dans les chaumières.

Dany regarde Marc droit dans les yeux.

– Tu as déjà pensé au suicide ?

– Ça ne va pas de poser ce genre de question ?

– Moi j'y ai déjà pensé. J'avais mon plan : accéder à la pharmacie du centre. Elle n'est pas super sécurisée, on dirait que c'est fait exprès.

– Il y a beaucoup de suicides ?

– Les autres patients sont plus gravement touchés que moi, ils ne sont pas capables de penser à ça.

– Et pourquoi tu n'es pas allé au bout ?

Marc voudrait retirer cette question, très maladroitement posée.

– Personne ne serait venu à mon enterrement.

La réponse est peut-être encore plus choquante.

– Si toi tu meurs, plein de monde serait triste et viendrait te dire au revoir. Moi je n'ai personne, je ne manquerais à personne.

– Ah ben super, merci pour moi !

– Ça a changé, maintenant je n'ai plus envie de me suicider.

– Et tu vas me dire pourquoi ?

– Parce que tu serais triste.

Un instant de silence passe. Les deux garçons se sourient, tout simplement. Pour se sortir de cette discussion assez terne, Marc tente de reprendre la main.

– Je ne suis plus le seul à tenir à toi, tu as plein d'amis maintenant.

– Sur Facebook ? Je ne connais pas la plupart de ceux qui me demandent en ami.

– Je parle des potes du lycée.

– Ils me parlent parce que sinon tu les frappes.

– Tu crois vraiment ? C'était vrai au début. Mais plus maintenant.

– Je ne sais pas.

– Y a un moyen simple de vérifier. On va lancer les invitations pour ta fête d'anniversaire, tu vas voir qu'ils vont tous venir.

– Parce que c'est toi qui vas demander et on ne dit pas non à Marc de Saint-Alban.

– Alors c'est toi qui vas lancer l'invitation, je te garantis que tu auras des surprises.

Dany baisse les yeux.

– Je vais vraiment avoir une fête d'anniversaire ?

– Evidemment. Tu peux même choisir un thème si tu veux, mais évites d'organiser une fête au McDo, on n'a plus dix ans. Pourquoi t'es triste ? C'est sympa un anniversaire ! Ne me dis pas que tu ne l'as jamais fêté.

– Au centre, quand on a son anniversaire, on peut avoir deux desserts.

– Bah là y aura un gros gâteau et plein de cadeaux. Faudra faire une liste d'ailleurs. On a plein de trucs à préparer, mais d'abord tu dois lancer l'invitation.

– Tu vas m'aider ?

– Évidemment.

Ils préparent l'annonce de l'événement sur Facebook. C'est encore le plus logique puisque presque tous les élèves de la classe se sont abonnés au compte de Dany. Et il n'osera pas les inviter en allant leur parler individuellement, il est plus simple de passer par les réseaux sociaux.

– Tu ne m'en veux vraiment pas de fliquer ton portable ?

– C'était un test et tu as réussi.

– J'ai perdu le fil là.

– Tu ne m'as pas menti, t'as pas essayé de nier. T'es un vrai ami.

– Difficile de te mentir, t'es quand même sacrément malin.

– Maintenant on peut peut-être désinstaller l'application. Je ne vais plus poster des photos de moi tout nu.

– Ouais, j'ai confiance en toi. Bon, tu as choisi un thème ?

– Les vacances.

– Euh, c'est vaste.

– Je veux tout le monde en short, tee-shirt, pieds nus, lunettes de soleil, comme si on était à la plage.

– Pas mal, ça devrait plaire. Ensuite on prépare une liste de cadeaux. Qu'est-ce que tu veux de moi ?

– Rien, tu as déjà fait tellement.

– C'est nul comme réponse et de toute façon j'ai déjà acheté quelque chose.

– C'est quoi ?

– Le principe de la surprise est de ne pas savoir. Ne fouille pas dans ma chambre, je ne l'ai pas caché là.

– Tu l'as mis chez Romain ?

– Apprends la patience, c'est un bon exercice.