Chapitre 10 | Forte

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Octobre 2018

Pensée positive : Le piano de l'Union Station est enfin réparé.

Pensée négative : J'aimerais la revoir, mais dans ma situation, c'est impossible.

♪♪♪

Je sors de l'Union Station en soupirant longuement, faisant tourner mes poignets sur eux-mêmes pour les détendre. Je suis resté devant ce piano durant un long moment, à jouer et rejouer mes airs favoris, faisant passer le temps.

En ce moment, je peine à trouver du travail. Malheureusement, aujourd'hui, je vais être obligé de faire l'une de ces longues queues interminables pour récupérer un peu de nourriture pour ma semaine, ou je ne vais pas tenir. Je déteste me rendre dans ces endroits. Les gens sont bienveillants là-bas, c'est certain, mais je me sens tellement minable en y mettant un pied. Je n'arrête pas de me dire que je ne suis qu'un pauvre type, celui qui n'a jamais réussi à garder une seule personne dans sa vie, celui qui n'arrive pas à se payer à manger.

En Amérique, beaucoup viennent conquérir le rêve américain. Cependant, ce rêve ne se concrétise que très rarement. En effet, il est très compliqué de grimper les échelles dans ce pays. Le dicton de l'Amérique ? « Marche ou crève ». C'est ainsi que des centaines de personnes sont retrouvés sans vie dans les rues, affamées, sans argent, sans famille. Pourtant, cette partie de l'Amérique, l'état se charge bien de le cacher au reste du monde. Il ne faudrait pas que le reste du monde voit que la société américaine n'est pas une réussite, mais un échec monumental.

Je rabaisse la capuche de mon sweat-shirt en arrivant près de la file, toujours aussi longue. Je m'appuie contre le mur, espérant que personne ne me voit. Je ne veux pas que l'on sache que je viens ici. Je n'ai aucune envie que l'on observe ma descente aux enfers, même si cette chute vertigineuse ne date pas d'hier.

Quelques odeurs de tabac froid, d'alcool, de vêtements sales depuis des semaines, ou même de joints me montent au nez. Je déglutis lentement, remontant mon sweat pour éviter ces odeurs qui me plongent dans le passé.

Lorsque mon tour vient, une dame aux cheveux roux, très distinguée, me donne un sac rempli de nourriture. Elle me sourit, et je lui souris faiblement en retour. Je la remercie avant de m'en aller au plus vite. J'ai toujours énormément de mal à accepter ma situation précaire. Lorsque j'étais jeune et inconscient, j'ai gâché toutes les chances qui s'offraient à moi, en pensant qu'elles se représenteraient un autre jour. J'ai déraillé, et aujourd'hui, j'en paye le prix. Tout aurait pu être différent, et bien que j'apprenne à vivre avec le poids de mon passé, il est parfois plus dur à porter que d'autres jours.

Je traverse les rues pour rejoindre mon appartement, mon sac dans la main. Cependant, je sens un regard sur moi, comme une présence. Je me retourne vivement. Personne... C'est étrange, j'aurai juré que quelqu'un m'observait. J'ai dû rêver.

Je reprends ma marche, sans pour autant être totalement tranquille. Je n'ai jamais ressenti cette impression auparavant, elle ne peut pas être fausse. Cependant, il n'y a personne. Il faut que j'arrête de psychoter. Ce n'est sûrement qu'un chat, ou tout autre animal étrange.

Mon regard se reporte derrière moi une dernière fois, lorsque j'aperçois une silhouette se cacher dans une ruelle parallèle à celle où je me trouve. Je saute sur l'occasion et m'empresse de rebrousser chemin et d'entrer dans cette rue en courant à moitié. Mon cœur tambourine dans ma poitrine, ne sachant pas qui pourrait être à l'origine de cette frayeur. Néanmoins, une fois arrivé dans la ruelle en question, il n'y a plus personne. Ce n'est pas possible, je suis certain de ce que j'ai vu. Quelqu'un me suit, c'est évident. Qui ? Pourquoi ? Là est bien la question.

Passion destructrice [EN PAUSE]Where stories live. Discover now