En face à face

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     Il descendait sur l'avenue, ses pas laissant leurs empreintes sur son passage après avoir traversé la ville sous une pluie épaisse et sans merci. Ses vêtements et ses cheveux étaient détrempés, et quelques gouttes en tombaient encore lorsqu'il entra finalement dans le bus, là où le vent glacé de décembre ne pouvait plus l'atteindre.

Il n'était pas souvent venu à la ville, peut-être deux ou trois fois, pendant ses années de lycée. Jamais seul, en tout cas. Peut-être était-ce pour cette raison qu'il avait perdu son chemin, errant sous l'averse, sans abri ni parapluie. Mais il avait réussi à atteindre le bon arrêt de bus, par on-ne-savait-quel miracle. Peut-être qu'un Dieu lui était favorable aujourd'hui ? Il n'en savait rien ; il ne croyait pas en ce genre de choses.

Il reposa sa tête contre le siège bariolé, en ajustant ses écouteurs. Lui, il n'avait foi qu'en un seul dieu : le destin. Et c'était le destin qui l'avait amené ici, dans cette ville qui lui semblait immense, un mercredi après-midi pluvieux. C'était le destin qui l'avait amené là, il n'en avait pas le moindre doute. Il devait le rencontrer, dans quelques heures, dans un café fréquenté du centre-ville. Depuis le temps qu'il attendait ça, il ne tenait quasiment pas en place depuis qu'ils avaient enfin décidé de se voir, pour de vrai cette fois-ci.

Les buildings sur lesquels une nouvelle ondée se déversait défilaient derrière la vitre froide et humide, sous les yeux bruns brillants d'excitation du jeune homme. Une mélodie lente et aussi douce qu'une berceuse résonnait dans ses tympans, et le réconfortait dans son sentiment d'aise et d'euphorie croissante. L'atmosphère du bus bondé lui était presque agréable, avec la chaleur de toutes ces âmes réunies vers une même destination. Il ne l'aurait pas supportée, d'ordinaire ; sa phobie de la foule était ce qui l'avait empêché de le retrouver à la capitale plus tôt. Mais aujourd'hui, plus rien ne semblait avoir vraiment d'importance. Plus rien ne comptait, seulement la perspective de pouvoir le serrer dans ses bras, après toutes ces journées à ne plus avoir rêvé que de ça.

Son téléphone vibra dans la poche de son pantalon, le tirant de sa torpeur presque béate. Il lui avait envoyé un message.

"T'es bientôt arrivé, dis?"

Il ne put s'empêcher de sourire, devant son impatience flagrante. Il répondit rapidement, pour recevoir quelques secondes plus tard une nouvelle notification.

"Je t'attends devant l'arrêt plutôt"

Les appels vidéos n'avaient bien vite plus suffi. L'un comme l'autre ne supportaient plus la distance physique qui les séparait, après des mois à échanger à travers un écran si petit. Alors il s'était décidé à le rejoindre à la capitale. Sans prévenir qui que ce soit, il était monté dans le premier train qu'il avait pu trouver, séchant les cours pour la première fois depuis qu'il avait commencé sa formation. Après tout, il en valait la peine.

Le bus commença à ralentir, devant un panneau dont l'inscription fit monter encore en lui l'effervescence qui n'avait cessé de lui tenir compagnie depuis qu'il avait quitté la gare ce matin ; il était arrivé. Il attrapa le sac à ses pieds et se précipita presque à l'extérieur, apercevant déjà sa silhouette à travers la vitre embuée.

Il n'avait même pas fait un pas sur le trottoir qu'il l'entourait déjà de ses bras, bloquant en partie la sortie aux autres passagers. Riant aux éclats, il se laissa aller à l'étreinte, le serrant en retour sous les regards curieux des passants. Après ce qui ne lui parut qu'une poignée de secondes, il se détacha, et caressa ses cheveux avant d'accrocher leurs regards, avides d'une seule et même envie.

Et en face à face, il pencha son visage sur le sien, dans son monde où plus rien n'existait, seulement son sourire contre ses lèvres.

En face à faceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant