CHAPITRE SIX : LA DERNIÈRE RONDE

33 4 7
                                    

Hello hey bonjour bonsoir, voici le chapitre 6 de Moloch. Y a encore une fois pas beaucoup d'action mais c'est l'un des derniers chapitres d'exposition pure, après ça commence à partir en couille.  TW Alcool, drogue, cicatrice. J'espère que ce chapitre vous plaira. Enjoy your lecture /o/

***

Hyacinthe, 14h00, Samedi

La même chose, s'il vous plait. C'est toujours la même chanson. Et la même ivresse. Je rêve de choses que je ne comprends pas. C'est probablement la télé qui créée les choses bizarres dans ma tête. Je sens que tout le monde me regarde. Je suis beau si beau et je le sais. La beauté m'offre des verres gratuits. Ou est-ce parce que je suis un habitué ? Qui sait. Le monde continue de tourner. Et je suis toujours dans le même bar, à boire les mêmes verres du même alcool à l'heure où on regarde un film en famille. La même chose, s'il vous plait. Je suis en constante pause dans mon imagination. Et je n'en sors jamais. Regarde moi. Comment retourner à la réalité, sinon ? Les panneaux publicitaires, les regards des autres, les basses des morceaux de pop, les cris à la radios répètent toujours ces mêmes mots : croyez moi, je suis la réalité. À disserter sur tout, plus personne ne touche à rien, concrètement. J'aurais du être un artiste, me voilà dans un bar. C'est là où tout le monde finit. Regarde moi. Écoute moi. Que je ne monologue pas pour rien. La beauté de mes mots commencent à moisir. Je suis un acteur. À l'extérieur, je souris toujours. Ça s'alourdit dans ma cage thoracique. J'aimerais ressentir quelque chose. Rien qu'une fois. Mais je ne sais pas comment on fait ça. Heureusement, sur internet, on arrive à me dire quoi ressentir. S'il faut rire, pleurer, être en colère, s'indigner, aimer, haïr, sourire. C'est trop fatiguant d'y penser. D'y réfléchir. C'est vraiment épuisant. Je vendrais beaucoup de choses dans le peu qui m'appartiennent pour pouvoir aller au delà du monde et au delà des choses plutôt que d'observer la chute lente de mes organes, la continuité de la pourriture. Parce que ça moisit. J'ai comme dépassé ma date de péremption. Alors, nécessairement, ça pourrit, ça devient inapte à la consommation. Peut-être que les gens que je baise commencent à s'en rendre compte. Tout ce que j'ai pu aimé se calcine. Ça aussi, ça pourrit.

Louis ne rentrera pas ce soir. C'est rare. Il m'a envoyé un message très vague qui ne disait pas grand chose hormis qu'il ne rentrerait pas ce soir. Il était là ce matin avec sa même apparence froide et figée dans le temps, le regard toujours noyé dans ses lunettes, invisible, insondable, un léger trait de jugement enfoui au creux de ses lèvres qui sont seules à se mouvoir. C'est un visage qui ne dit absolument rien. Il avait commencé à préparer le petit déjeuner, toujours un peu plus fantaisiste le samedi, enfin fantaisiste est un grand mot pour Louis mais disons qu'il y a des ingrédients comme des œufs ou du bacon qui ne sont préparés que le samedi, dans un pull en laine sombre et abimé et un jean noir délavé sans forme. Il se dégageait de son corps maigre de feuille A4 un charme inaccessible et quelque peu morne, une fatigue intense du poids des choses murée dans un silence profond qui dure depuis des années. Il était là physiquement, à répéter les mêmes gestes depuis bientôt dix ans de manière détachée et robotique, mais quelque chose dans son cerveau n'est jamais ici, dans ce monde, dans cette dimension. Le soleil se reflétait maladroitement dans les verres de ses lunettes pendant qu'il cuisinait. Il semblait moins en colère. En fait, ça ressemblait surtout à de la résignation. C'était triste en quelque sorte. Louis ne cherche jamais le conflit. Ce n'est pas par flemme, mais plutôt une sorte d'acceptation que personne ne peut le comprendre, que sa colère peut s'effacer au profit de la froideur, que les émotions ont le devoir de crever avec la cause qui les provoque.

Parfois, je sens mon cœur qui cogne dans ma poitrine plutôt violemment, je prends conscience de mes mensonges et de ma capacité inhérente à moi même de ne pas savoir aimer les gens un minimum correctement. Ça prend de la place à l'intérieur de mon cerveau et je me dis parfois que mes relations sociales et sentimentales sont des bouts de chair qui ne m'appartiennent pas greffées à ma peau. Je ne sais pas comment aller au delà de moi-même. Comment partir hors de l'alcool à outrance et des fumées de cigarettes. J'ai des problématiques de gamin. Je n'arrive pas à devenir adulte. Les responsabilités m'étouffent. Je reporte la faute sur Tobhias parce que j'ai pas trouvé d'explication plus cohérente à tout ça. Mais au fond, aha, c'est sûrement inhérent à moi-même. C'était déjà planqué sous le tapis depuis longtemps. C'est maintenant que ça commence à devenir réellement étouffant. Je deviens une caricature de moi-même. Quelle angoisse. Dire que je m'étais juré de jamais finir comme ça. Dès que je baise, dès que je sors dehors, dès que je suis en soirée j'ai l'impression d'entrer sur le plateau d'une immense télé-réalité à ciel ouvert pour les gens des mondes parallèles ou des autres planètes et ça fait couler mon cerveau par les oreilles, le nez, la bouche jusqu'à la gerbe de ma propre conscience, l'anéantissement viscéral d'une productivité déjà inexistante. C'est drôle cette manie constante de ne jamais assumer le réel, de se mouvoir en permanence dans le désespoir qu'inspire le non sens du monde. C'est Nietzsche qui disait quelque chose comme ça. Que tous les mots, les concepts, les choses sont nommés par interprétation, jamais par le réel des choses en soi parce que tout est crée par les hommes afin de ne pas voir que sans cela, le monde n'a plus aucune structure viable. Car se rendre compte de ça, c'est s'abandonner littéralement au désespoir de notre existence qui en devient maladive. Le désespoir semble être désormais une véritable maladie générationnelle. Et je me rends compte que c'est ridicule de parler comme ça. Je vais reprendre un verre.

MOLOCHOù les histoires vivent. Découvrez maintenant