Le reflet inversé (A Fanart's Promise Challenge : LPM x Une oeuvre d'art)

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[Je participe de nouveau au challenge A Fanart's Promise :), cette fois le thème est "La Passe-miroir x Une oeuvre d'art (réinterprétation d'un tableau, d'un style d'un auteur...)". J'ai décidé de m'inspirer du tableau "La Reproduction interdite" de René Magritte (j'ai mis le tableau en image de garde au-dessus). Et pour une fois, cette mini-histoire est plus légère que d'habitude, car on veut pas toujours voir Ophélie en dépression non plus :p. Ah oui, ça se passe hypothétiquement juste après la fin du tome 3 ! Bonne lecture !]

Mon esprit encore endormi, je prends lentement conscience du clapotis des gouttes de pluie au dehors. Bien au chaud sous les couvertures, je m'étire langoureusement, en prêtant attention à chaque parcelle de mon corps. Le plaisir de sentir mes poings s'ouvrir avec force vers le futur, alors que je tends mes bras. Mon dos se courbe et d'une main hasardeuse, je pars à la recherche de mes lunettes. Thorn n'est déjà plus dans le lit. Avec un certain soulagement, je le repère aussitôt à l'autre bout de la pièce. Déjà habillé et droit dans son uniforme, il semble toutefois mener un drôle de manège. 

Redressée sur les draps, j'observe d'un air curieux la situation. Thorn, la mine interdite, se considère dans le miroir. De ma position, je n'aperçois que le dos dudit miroir, me donnant la chance d'admirer les mimiques renfrognées de Thorn. Il tourne son visage sur la gauche, sur la droite, ses yeux gris fixés sur son reflet comme un aigle sur sa proie. Le voilà soudain qui bondit sur le côté, agrippe le cadre et regarde derrière, comme s'il allait y découvrir un espion menaçant ! Bien évidemment, il n'y a rien. Alors, il s'en retourne face à la glace, la figure encore plus crispée. A la fois amusée et intriguée par le spectacle, je brise l'étrange silence planant dans la pièce : 

- "Hum... Thorn ? Est-ce que... tout va bien ?"

En un instant, il se fige. Et tourne mécaniquement ses prunelles vers les miennes. Quelques secondes suspendues défilent dans le vide, en attendant sa réponse. 

- "Il semblerait que ce miroir pose problème."

Problème ? A question hésitante, réponse laconique. Le mieux, c'est d'aller constater ce "problème" à la source. J'enfile ma robe de chambre et m'approche de Thorn. Si je m'écoutais, je me blottirais contre son torse et je tirerais sur son col pour l'embrasser, malheureusement cela ne semble pas être le moment approprié vu la raideur de ses traits. C'est donc à côté de lui que je me place, m'intéressant derechef à sa réflexion dans le miroir. Et là ! Une déclaration hautement rassurante et digne d'un niveau intellectuel des plus élevés sort de ma bouche : 

- "Ah... Oh ? C'est... que ?"

 Comprenez bien que le tableau est plutôt cocasse : en lieu et place de son côté face, c'est le côté pile de Thorn qui nous est renvoyé ! Nous devrions pouvoir contempler ses sourcils froncés, la longue arête de son nez et son rictus de plus en plus contracté, sauf que... Ce sont ses cheveux pâles coiffés vers l'arrière au-dessus de sa nuque et le haut de son dos qui apparaissent devant nous. 

- "Mais quelle est cette illusion ?!" lâche Thorn, désormais fort énervé.

Je lui réponds que je l'ignore, étant donné que me concernant, mon reflet s'affiche dans une totale normalité. J'approche mes phalanges de la surface réfléchissante et la touche. Elle réagit en produisant quelques vaguelettes, laissant doucement mes doigts pénétrer la matière. Ce miroir est donc en parfait état ! Je retire ma main et replonge dans mon interrogation face aux épaules tendues de Thorn, renvoyées à l'inverse de la logique. Je le questionne : 

- "Depuis quand te vois-tu.. à l'envers ?"

 Le tutoyer est si agréable, bien qu'encore un peu déconcertant. 

- "Depuis le réveil. En voulant ajuster mon uniforme, j'ai constaté le phénomène.

- Je n'ai jamais vu ça, c'est vraiment très inhabituel...

- Un peu plus que cela même..."

D'un geste nerveux, Thorn sort sa montre à gousset de sa poche et s'apprête à y lire l'heure. C'est pourquoi je suis pour le moins prise par surprise lorsque qu'il me demande immédiatement :

- "Quelle heure est-il ?"

Il en faut cependant davantage pour réussir à réellement m'étonner après tout cela. Je me rends vite vers l'horloge posée sur la table vers la fenêtre. 

- "Il est 10 heures 25 ?"

 Je pourrais presque entendre le biiip de la mauvaise réponse. Pourtant, ce sont bien ce qu'indiquent les aiguilles. Je rejoins Thorn, immobile comme une statue, et lorgne sur le cadran qu'il serre entre ses longs doigts osseux. 16 heures 55. Comment ? 

- "Elles sont à l'envers, souffle Thorn entre ses dents serrées

- Qui ça ? 

- Les aiguilles, le 10 en opposition du 4 et le 25 contre le 55."

Effectivement, en redressant mes lunettes sur mon nez et avec un minimum de concentration, je ne peux qu'approuver la rapide solution. J'ajoute : 

- "Résumons : votre re... ton reflet dans le miroir est à l'envers, tout comme les aiguilles de ta montre."

Thorn rebondit sur mon affirmation avec un éloquent mutisme. S'il faut le traduire : il est d'accord. 

- "Thorn ?" 

Toute dirigée vers lui, je le saisis fermement par les bras et l'oblige à recentrer son attention vers moi. J'esquisse un malicieux sourire, j'ai compris.

- "Thorn, c'est troublant, non ? 

- Concernant les horaires, je peux effectuer une correction instantanée. Cela risque par contre de poser problème si je dois traverser un miroir. 

- Thorn, je ne parle pas de cela." 

Une étincelle d'incompréhension traverse ses iris. Je continue : 

- "Nous. Toi et moi. Cette nuit... D'avoir lâché prise, ne serait-ce que quelques minutes... Ce n'est pas dans tes habitudes, n'est-ce pas ? 

- ... Hum... Eh bien... Un peu plus que... 

- ...cela même."

Je termine sa phrase à sa place et je l'enlace de toute ma chaleur. En lui offrant toute ma sérénité, je peux sentir ses muscles qui se détendent très légèrement et ses bras qui m'enserrent à leur tour. Un Thorn animiste déboussolé, au point de parvenir à inverser les principes physiques les plus élémentaires, si on me l'avait raconté, je ne l'aurais sans doute pas cru. Vivre une entière existence de méfiance et de mépris, forcément, les gonds grincent et la poignée peine à se laisser aller. Comme si tout allait à l'envers. Sans relâcher mon étreinte, je me cambre et me retourne tout juste suffisamment pour apercevoir le changement derrière moi. Dans le miroir, ce n'est plus le dos de Thorn qui apparaît. Le reflet classique de son visage penché sur moi, les paupières closes et les joues rougissantes, a repris ses droits.

Petits textes inspirés de La Passe-MiroirWhere stories live. Discover now