Mexico City - 6 juin - 0 h 45

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C'est la langue râpeuse d'un chat sur sa peau qui le réveilla. Ou plus précisément, au moment où il reprit connaissance, un matou était en train de lui lécher la paume. Une pauvre bête écaille de tortue décharnée et un peu miteuse. Al retira sa main et l'essuya sur son jeans.

— Te gêne pas, surtout, marmonna-t-il d'une voix faible et rauque.

Avec précautions, il se redressa et s'assit, le dos contre une poubelle, grimaçant de douleur. Il avait l'impression que sa tête allait éclater. La moindre parcelle de son corps le faisait atrocement souffrir. Se faire tabasser par des mecs d'autres gangs était son lot quasi quotidien, cependant, la baston de cette nuit s'était révélée particulièrement violente. Jamais encore il n'avait perdu connaissance. Il ne se rappelait même plus le déroulement précis des choses. Tout ce dont il se souvenait, c'était qu'il rentrait chez lui lorsqu'il avait croisé les brutes du Chacal. Ou alors des Têtes Noires ? Les visages demeuraient flous dans son esprit...

Sans autre préambule, on lui avait envoyé un direct en pleine figure. Il avait entendu – et senti – son nez se fracturer dans un craquement. On l'avait jeté à terre et rossé, sans lui laisser l'opportunité de riposter et de se défendre. Et ensuite, le néant absolu. Seule revenait à sa mémoire la dernière phrase qu'il avait entendue avant de sombrer, et qui se répétait en boucle dans son cerveau, comme une sinistre mélodie :

Je te retrouverai...

Il essuya dans son T-shirt le sang qui coulait de ses narines jusque sur sa bouche. Des caillots séchés collaient une de ses paupières et son front poissait, il aurait sans doute besoin de quelques points de suture.

Le jeune homme grattouilla la tête du chat, qui frottait ses flancs maigres contre lui en ronronnant, pour réclamer plus de caresses.

— Ça va, toi ? Tu sais pas ce que je donnerais pour être à ta place.

Avec lenteur, Al se mit debout, ramassa son téléphone portable, à l'écran fissuré par la chute, et se traîna tant bien que mal jusqu'au taudis où il vivait, un mobil-home délabré, situé à la limite du territoire de son gang, les Coralillos. Contre toute attente, le félin le suivit.

— T'es gentil, mais j'ai pas grand chose à manger pour toi, bonhomme.

— Miaou, insista le chat, slalomant entre ses jambes.

Le jeune homme n'était guère porté sur les chats, pourtant l'intérêt que lui prodiguait cette bête efflanquée et visiblement affamée le touchait. Aussi, il le prit dans ses bras. Le matou se laissa faire et ronronna de plus belle en se blottissant contre son cou.

— OK, OK, fit Al en riant. Je t'emmène avec moi.

Arrivé chez lui, il ouvrit une vieille conserve de sardines pour le chat, puis sortit la boîte en fer contenant son nécessaire de premiers secours. Il ne restait plus grand-chose, il lui faudrait en rafler à la pharmacie la prochaine fois que des gars iraient la braquer pour de la thune et des médocs. Il se tint devant le miroir de la salle d'eau tandis qu'il désinfectait la plaie et y appliquait des strips de suture. Ça ne valait sûrement pas de vrais points mais ça ferait l'affaire. Après s'être occupé de son visage, il retira son T-shirt et tâta doucement ses côtes. Un gros hématome s'étalait sur sa peau, néanmoins, rien de cassé à cet endroit à première vue. Tant mieux. Il ne disposait d'aucune couverture santé et plutôt mourir que de faire la queue au dispensaire, où les services sociaux risquaient de lui poser un peu trop de questions.

Al prit une bière dans son mini frigo, s'affala sur le canapé convertible défraîchi et tira jusqu'à lui l'ordinateur posé par terre, seul objet de valeur qu'il possédait, obtenu de façon pas franchement honnête. Et encore, « de valeur », tout est relatif. Une vieille bécane qui ramait plus souvent qu'à son tour et dont l'écran était parsemé de pixels morts. Pourtant le jeune homme y tenait comme à la prunelle de ses yeux.

1001 heuresWhere stories live. Discover now