Chapitre 2. Cora

Depuis le début
                                    

À Paris, la vie est si différente qu'un peu plus au nord de l'Europe. Les Français sont étranges, ils ne sont pas aimables, pas serviables, pas souriants. Du moins, les parisiens. Les autres, je ne sais pas. Je ne suis pas vraiment à l'aise dans les rues de la capitale, bousculée par des gens pressés qui ne prennent même pas le temps de s'excuser. Leur dédain et leur manque de chaleur humaine font que je n'ai presque pas d'échanges avec eux plus d'un an après mon arrivée. Leur façon de vivre ne me correspond pas, mais j'y travaille.

J'essaie, je vous assure.

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Un sac vissé sur le dos, un tour dans la serrure de mon appartement, et je pars enfin sous le ciel grisâtre de Paris, empruntant et foulant le même trottoir que d'autres passants pressés.

Une anglaise à Paris a finalement des avantages. Le temps froid et souvent grisâtre m'est plus que familier. Je dirais même qu'il m'aide à me faire sentir chez moi. Il me rappelle Londres où le crachin semble avoir élu domicile depuis des siècles. Alors que certains portent l'humidité en horreur, moi je dirais que je l'adore et qu'elle m'est même étrangement rassurante.

Quelques minutes de marche me suffisent à rejoindre la station de métro la plus proche et une fois dans la rame, je dois user de mes talents de mauvaise comédienne pour ne rien laisser paraître sur mon visage. Heureusement pour moi, je n'ai que quelques stations à faire et, qui plus est, sur la même ligne. Je me faufile en jouant des épaules entre quelques touristes et travailleurs sérieux et trouve un petit coin d'espace. Parfait pour m'y blottir le temps du trajet afin d'essayer de me détendre du mieux que possible, positionnée sous les aisselles des uns et des autres. Je soupire et ferme les yeux pour me ne pas que l'odeur me fiche la nausée. Celle du bitume humide mélangée à celle du chien mouillé et de la sueur matinale de ceux qui ne connaissent visiblement pas la douche.

Relativisant et trouvant même la situation drôle et cocasse, je laisse échapper un petit rire en pensant à la répartie dont userai ma blonde dans ce genre de situation, ce qui attire les regards curieux et inquisiteurs des autres passagers.
Bah, quoi... Dans ma tête c'est drôle.

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Le lieu où se déroule l'exposition est absolument incroyable. La salle s'impose par sa grandeur impressionnante et ses plafonds semblant ne plus finir. J'écarquille les yeux et aborde un sourire béat sur mon visage, impressionnée par la foule et l'ampleur fascinante, à tel point que je retourne subitement en enfance, comme éblouie et émerveillée au beau milieu d'un grand magasin de jouet.

Ella ne s'était pas moquée de moi lorsqu'elle m'avait dit que plus de vingt milles personnes étaient attendues aujourd'hui. Car, pour ainsi dire, je me sens toute petite à l'entrée, comme perdue dans un grand aéroport en perpétuel mouvement.

Mais après m'être remise de mes émotions, quelques secondes me suffisent pour repérer le sens de la visite, en observant simplement la direction que semble prendre la foule. Ma découverte peut enfin commencer. Je déambule tout d'abord à l'étage de la salle, trainant quelque peu les pieds entre les différents stands de goodies et d'invités de renom venus spécialement pour l'inauguration, m'amusant à reconnaître quelques-uns de mes compatriotes. Le téléphone dans les mains, je capture les moments importants pour pouvoir les partager plus tard avec ma meilleure amie, et me laisse vaguer à la visite, entrainée et emportée par la foule et les professionnels du cinéma expliquant leur art fascinant.

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— Eh ! Mais, c'est mon tour ! m'écrié-je en essayant de jouer des coudes face à un homme et sa copine visiblement impolis et trop pressés, afin de forcer le passage à l'entrée du stand photo de Darren MacMillan.

Je relève la tête vers l'homme qui ne daigne même pas m'adresser un regard et me retiens de lui mettre un coup dans les côtes tellement son ignorance m'agace et me contrarie. Plus d'une heure que j'attends avec courtoisie et sympathie mon tour de passage, mais à présent, c'en est trop. Du haut de mon mètre soixante, c'est carrément comme si j'étais inexistante. Je me retiens d'hurler « Eh oh, je suis là, moi aussi ! ». Serrée et mal à l'aise au centre de la foule en perpétuel mouvement s'amassant devant la petite pièce, je n'ai d'autre choix que de me faire entendre, même si la tâche demeure plus difficile qu'espérée. 

La politesse et le savoir-être semble avoir été mise de coté, ou pire, oublié, à en juger par les bousculades égoïstes afin de décider lequel passera le premier dans cette foutue salle. Les gens se pressent, se poussent et s'agitent autour d'une pièce abritant un homme narcissique et mégalomane, moi comprise. Je ne comprends pas, mais voilà où j'en suis réduite. Car jamais je n'aurais pensé un jour, et pas même pour Ella, devoir attendre, en pleine jungle, dans le seul espoir de me faire tirer le portrait avec Darren MacMillan. Cela ne me ressemble pas.

Sauf que, ce que je ressens ne me ressemble pas non plus. Car, même si je ne porte pas cet homme en estime, une certaine appréhension monte en moi qu'il m'est difficile d'étouffer. Et je me déteste de réagir ainsi. Plus ma place avance à l'entrée de cette foutue pièce, plus mon estomac se noue douloureusement sous mon angoisse, et j'ignore pourquoi. Ou alors je me fourvoie simplement. Je n'ai jamais encore rencontré de célébrité.

Ella disait vrai au téléphone, hier, au delà d'être un acteur certainement talentueux, c'est aussi un homme béni des dieux. Seul un aveugle dirait le contraire. Mais le charme ne fait pas tout, bien au contraire. Je n'aurais jamais fais le déplacement si Ella ne me l'avait pas demandé. Non, Darren MacMillan ne m'attire pas pourtant l'engouement autour de lui m'agace autant qu'il me fascine. Je ne connais de lui que ce qu'il veut bien laisser entrevoir dans la presse à scandale. Ses relations sulfureuses, son arrogance et sa mégalomanie, et, à en juger par ses frasques, je peux dire sans me tromper que son art de vivre gâche toute sa beauté pourtant bien réelle.

Il a le don d'avoir réuni en lui tous les vices détestables. Je sais que je devrais éviter les jugements hâtifs et totalement gratuits qui plus est, mais il s'agit là d'une personnalité publique qui a le pouvoir de gérer ce qu'elle peut montrer. Et pour lui, nul doute que l'image que l'ont connaît et celle qu'il aime véhiculer. Car personne ne peut nier son impudence et son narcissisme ainsi que son dédain pour les jeunes femmes à en juger par l'effort qu'il fait pour que tout le monde le sache.

Cela dit, il n'en reste pas moins intimidant, bien au contraire.

Un bénévole en charge de l'organisation arrive devant nous, et tente de calmer la foule en agitant ses bras devant lui.

— Mesdemoiselles et messieurs, je vais vous demander de vous calmer ! Inutile de vous bousculer ! Nous vous appellerons par ordre de passage via le numéro indiqué sur votre billet ou invitation, alors pas d'inquiétude et prenez votre mal en patience, vous allez tous passer !
Ce n'est pas trop tôt !

Je porte un rapide coup d'œil à mon ticket et remarque qu'il porte le numéro vingt-cinq. Décidément, ma joie est de courte durée. Il ne me reste plus qu'à attendre. Encore.

L'ombre au tableau [Sous contrat chez Nisha et cætera] Où les histoires vivent. Découvrez maintenant