Je soupire exagérément et feins d'ignorer les ombres qui hantent son regard aux mille nuances.

— Très bien, on fait comme tu veux !

— Bien.

— Bien, répète-t-il.

Pourquoi je sens que je vais regretter ?

— On peut reprendre la chanson ? J'ai fais les branchements nécessaires pour t'enregistrer. Ce sera plus facile pour que tu juges. Et pour montrer cette version à Hank.

Il replace une mèche rebelle vers l'arrière de sa chevelure désordonnée, concentré sur les fils qui s'entremêlent. Je saisis le micro pour l'enregistrement. Même si j'ai bien du mal à l'exprimer à voix haute, cette version me plaît. Vraiment. Et je suis prête à la défendre face à mon producteur.

Une fois la chanson en boîte, je laisse mon regard s'attarder sur le jeune homme qui range le matériel. Ses gestes sont mécaniques, presque brusques. Une légère tension persiste entre nous, sans que je ne sache si elle vient de la nuit dernière ou de notre collaboration. Je mordille ma lèvre devant la douloureuse constatation : j'ai cédé à la tentation, juste pour un coup d'un soir. Par provocation. Parce que je voulais esquiver ses questions aussi, et le faire taire. Sauf qu'il n'est pas un coup d'un soir parce que je vais le revoir, et que sa présence dans mon univers m'apparaît dérangeante. J'aimerais revenir en arrière, c'était idiot. Il est doué, j'aime sa façon de travailler, ce petit quelque chose d'innocent qui transparaît parce qu'il est étranger à ce milieu pourri. La passion, encore intacte, qu'il dégage et l'envie de réussir. Je ne veux pas gâcher ça, et je ferai en sorte de le tenir à distance.

— On peut aller voir Hank maintenant si tu veux.

Interrompant le fil de mes pensées, Brody attend une réponse que je tarde à lui fournir.

— Je vais me débrouiller, merci. C'est entre lui et moi.

Ma voix est à nouveau glaciale, le jeune homme fronce les sourcils, déstabilisé par mon changement d'attitude.

— En réalité, j'ai un peu mon mot à dire dans l'histoire...

— Absolument pas. Tu n'es pas décisionnaire. Rentre chez toi, je te donnerai notre réponse dans la journée.

— Ouchh, tu as du mal à adhérer à la notion du mot « amical », c'est ça ?

Il prend le parti d'en rire, sans se démonter, alors que j'attendais un peu plus de hargne de sa part. Je hausse les épaules, attrape l'enregistrement et me dirige vers la porte en retenant un « dehors », qui ne ferait que mettre le feu aux poudres.

— Je te l'ai déjà dit, on n'est pas ami Brody, lancé-je en tenant la porte ouverte.

— Non, mais tu n'es pas obligée d'être désagréable. De souffler le chaud et le froid. Qu'est-ce qui s'est passé dans ta vie pour que tu agisses ainsi ? souffle-t-il alors qu'il passe à proximité, son corps à quelques centimètres à peine du mien.

— Bravo, tu viens déjà de dépasser la limite ! répliqué-je, cinglante.

Mes yeux rivés dans ses prunelles, je le vois faire machine arrière. Il ouvre la bouche, hésite, puis soupire.

— Très bien, tu as raison. Oublie. J'attends ton retour.

Puis il passe la porte sans m'attendre. Je le laisse franchir la grille seul, avant de me changer et de rejoindre le chauffeur, qui me mène jusqu'à Hank.

Je laisse mon producteur digérer la nouvelle, surprise par mon propre discours. Je ne lui accorde aucun choix, ni plus ni moins. Contrairement à ce que j'ai affirmé à Brody, ma décision est déjà prise. Ce sera cette version, ou aucune autre. Je sens Hank contenir sa fureur, il déteste qu'on lui impose son avis. Les poings serrés, le corps crispé, il pince ses lèvres comme s'il se retenait d'exploser. Mais les notes s'élèvent et apaisent les sens. J'en ai presque les larmes aux yeux. J'ignore comment Brody a réussi ce tour de passe-passe, mais j'apprécie qu'il se soit battu pour ses convictions. Je reconnais à peine ma voix...

Le silence accueille la fin de la chanson et je me surprends à frotter nerveusement mes mains contre mon jean, dans l'attente d'une quelconque réaction de mon producteur.

— Je sais à quel point tu es vulnérable en ce moment...

— Hank, sérieusement, elle est parfaite !

— Laisse-moi terminer ! me coupe-t-il d'un ton péremptoire.

Il se lève et se poste face à moi, le regard sévère. Sa stature m'impressionne : si son aura est incontestable, sa carrure ferait se recroqueviller tout être normal doté d'un cerveau. Je baisse instinctivement les yeux.

— Tu es influençable et fragile. J'ai engagé Brody pour t'aider à passer le cap de ta carrière, parce qu'il a du talent, mais c'était peut être une erreur. Il m'a l'air de détenir une trop grande emprise sur toi...

— Parce que sa chanson lui tient à cœur ? Enfin, Hank, c'est un passionné, son but n'est pas de me saboter !

— Évidemment ! Je constate juste l'influence qu'il a sur toi. Qu'est-ce qui se passe entre vous ?

Je papillonne des yeux, un instant à court de mots.

— Tu te fous de moi ? Tu n'es pas mon père, Hank, lâché-je pour le blesser, mais sache qu'il n'y a strictement rien entre lui et moi !

Il fronce les sourcils, pas franchement convaincu par mon discours indigné. J'ai l'impression qu'il lit en moi comme dans un livre ouvert. Il s'approche un peu plus et fixe son regard assassin au mien. Je retiens mon souffle, un peu anxieuse devant son attitude.

— Cette version est en effet bien meilleure. À l'opposé de ce que tu fais habituellement, mais c'est ce qu'on cherchait, alors oui, je vais la produire. Mais sache que le patron ici, c'est moi. Pas Brody. Vous me faites encore un coup pareil et tu pourras aller pointer au chômage avec ton pseudo petit copain. C'est compris ?

Sa question tombe comme un couperet et n'attend aucune réponse. J'acquiesce en silence, alors il reprend, d'un ton plus doux :

— Ta mère m'a appelé, au sujet du mariage.

Il chuchote, pour ne pas me brusquer. Je fais un pas en arrière et secoue la tête.

— On ne va pas en discuter aujourd'hui, Hank.

— Elle voulait avoir de tes nouvelles surtout.

— Elle connaît mon numéro il me semble.

— June...

— Je suis venue ici pour la chanson. Conversation close.

J'attrape ma veste alors que Hank saisit mon bras.

— Je pense que tu devrais sérieusement réenvisager de voir ton psy.

Je me dégage de son emprise et sors en claquant la porte. Personne ne me dictera ma conduite !

***

Hello !  J'espère que vous allez bien !  Voici la suite tant attendue, j'ai hâte d'avoir votre avis 😍.

Bisous !

Inflamed (Sous Contrat Chez Addictives)Where stories live. Discover now