36 - Épilogue

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Le ciel est d'un bleu pur au-dessus de ma tête. Sous mon dos, l'herbe tendre forme un matelas moelleux.

Allongée là, dans un recoin perdu de l'univers, je me sens pourtant en son centre.

Heureuse.

Il y a vingt ans, lorsque je me suis échouée avec les autres survivants du Taichung sur cette planète isolée qui est désormais notre foyer, pour la première fois, je ne savais pas ce que l'avenir me réservait. Ma vie était une page blanche, sur laquelle des mots attendaient d'être tracés. De ma main, et non de celle d'un autre. Ni mon père ni Vinny n'étaient plus là pour m'imposer un futur.

Je n'étais plus Proxima Knox. Ni le fantôme de Madeline.

Mais moi-même.

Il y a eu des ratures, des bavures. Des hivers si froids que j'ai cru en mourir. Des disputes, car à onze il est difficile d'éviter ceux que l'on n'apprécie pas. Les rancœurs de certains de mes compagnons d'infortune, privés de l'immensité de l'espace car c'est à cause de moi que le Reine Magd avait tiré.

Pour ma part, malgré mon amour immuable pour les étoiles, je n'ai jamais regretté de ne plus pouvoir voler parmi elles.

J'en aurais pourtant eu la possibilité. Au bout de quinze années de solitude, une trace de feu a lui dans le ciel, filant vers la terre. En quelques jours de marche, Derrick et moi avons rejoint le point d'impact, et nous y avons découvert un vaisseau, autour duquel une petite ville s'était déjà construite : des robots avaient monté des modules d'habitation en un rien de temps, alors qu'il nous avait fallu, à nous, plusieurs saisons pour perfectionner nos cabanes rudimentaires.

Je me suis sentie effrayée. Craignant, de manière irrationnelle, de tomber nez-à-nez avec mon père, débarqué là sur la Juda II dont le spectre avait plané sur mon enfance. J'étais une adulte alors, trentenaire, mais je tremblais autant qu'à l'époque où je craignais encore les monstres sous mon lit. J'avais peur que ces colons soient là pour me punir, pour me faire retomber sous la coupe d'un despote ou un autre, qui m'auraient à nouveau imposé ses idées. J'étais terrifiée à l'idée que les quinze dernières années n'aient été qu'une parenthèse, avant un nouvel enfer.

J'ai été incapable d'avancer pour rejoindre l'embryon de colonie. Derrick a tenté de m'apaiser, mais impossible. J'étais paralysée. Alors il m'a fait asseoir à l'abri d'un bosquet, m'a promis qu'il reviendrait bientôt, et est allé voir, seul, qui étaient ces nouveaux arrivants.

Lorsqu'il est revenu, le sourire sur ses lèvres m'a aussitôt assuré que tout irait bien.

Ces colons, m'a-t-il expliqué, venaient d'être relocalisés après une grave éruption volcanique sur leur planète natale. Ils ne semblaient soumis à aucune idéologie qu'ils viendraient nous imposer.

C'étaient juste des gens comme nous, désireux de vivre en paix.

Ils compatissaient à ce qui nous était arrivé, m'a assuré Derrick. Ils avaient l'air amicaux et avaient même proposé d'emblée d'attribuer à chacun des survivants du Taichung un module d'habitation doté de tout le confort moderne.

Je faisais confiance au jugement de Derrick. Pourtant, il m'a fallu des semaines avant d'envisager l'idée d'accepter l'hospitalité des nouveaux colons. Leur arrivée ravivait trop de mes vieux démons.

Mais jour après jour, cette possibilité s'est creusé un chemin dans mon esprit. En voyant Irène grelotter dans son sommeil. En croisant un homme inconnu alors que je relevais les filets de pêche, et en constatant qu'il me souriait avec sympathie. En constatant que d'autres survivants du Taichung faisaient leurs bagages pour déménager.

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