2 - Eternelle prisonnière

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Encore une soirée passée la tête contre le plastique du hublot vers l'extérieur. Les jours passent, mais le spectacle de l'espace change peu. L'Exodus va certes à une vitesse incroyable, mais les distances dans l'univers le sont encore plus. Les étoiles autour du vaisseau restent à leur place semaine après semaine. Je recherche Proxima, l'astre qui m'a donné mon nom. Sa lueur est immuable. Je soupire et m'apaise. La voir dans le ciel me procure un sentiment de protection plus grand que toutes les prières à des saints à l'existence douteuse que je dois prononcer à l'église.

Soudain, j'entends un bruit non loin de moi, et je me redresse. Un grincement que je reconnais entre tous : c'est celui d'une trappe dans la coque intérieure du vaisseau qui se soulève. Quelqu'un vient me rejoindre. J'aperçois d'abord des jambes entourées du pantalon de flanelle grise réglementaire pour les garçons, puis un torse serré dans une chemise un peu étroite. Enfin, une tête apparaît, bouffie et surmontée de boucles rousses. Brice Peepson. Ma tête retombe contre le plastique. J'aimerais que l'obscurité de l'espace me dissimule au nouvel arrivant. Mais cela n'est pas possible, bien entendu. Il me cherche de toute façon. Lorsque ses yeux bruns se posent sur moi, il s'exclame :

"Ah, te voilà, Proxima."

Les règles de notre communauté exigent qu'en jeune fille respectable et respectueuse, je le salue poliment. Je m'exécute avec autant d'enthousiasme que l'un des robots qui s'occupent des plantations à l'intérieur du cylindre habitable :

"Bonjour, Brice, et que Dieu te bénisse."

Le jeune homme serait censé me répondre de la même manière. Mais il saute cette étape. Après tout, lui est un garçon. Il n'est pas obligé de traiter comme une égale une personne du sexe faible. Il m'explique :

"Mère m'a prévenu que tu étais ici. Elle m'envoie prier à tes côtés."

Par réflexe, je porte ma main à mon cou. Ce dernier est enserré par un collier métallique, orné en son centre par ce qui ressemble à une bille de verre, mais qui est en réalité une caméra miniature. Au-dessus de cette dernière, une LED rouge pourrait presque se faire passer pour un rubis.

Chaque habitant de l'Exodus porte un tel collier, qui filme le moindre de nos faits et gestes. C'est une des règles instaurées par Saint John Knox. Les colons élus pour entreprendre le périple vers Juda II se doivent d'être aussi purs que possible, mais notre chef ne nous fait apparemment pas suffisamment confiance pour penser que nous respecterions ses édits sans surveillance. Les images captées par les colliers sont diffusées en permanence sur des centaines d'écrans dans deux salles, l'une pour les hommes, l'autre pour les femmes, dans un bâtiment au centre du vaisseau, et sont observées en continu par les Gardiens. Le couple qui occupe cette fonction est le plus haut placé dans la hiérarchie de l'Exodus, ne cédant le pas qu'à John Knox lui-même. Actuellement, les Gardiens sont Thomas et Anastasie Peepson. Brice est leur fils aîné.

Les mariages au sein de l'Exodus ne se font pas par amour. Un conseil des colons les plus estimés se tient tous les ans, et détermine des couples parmi les jeunes gens célibataires. J'ai seize ans depuis quelques mois. Ce printemps, je serai sur la liste des demoiselles à marier. Je devrais attendre avec impatience qu'on m'annonce le nom de mon époux. Mais il n'y a aucun suspense pour moi. Traditionnellement, John Knox donne sa fille en mariage soit au fils des Gardiens, soit à celui du Pilote de l'Exodus, dans une alternance parfaite de génération en génération. Ma tante Bételgeuse a épousé l'actuel Pilote. Je sais donc depuis mon enfance que c'est le fils Peepson que mon père me destine.

Brice en est conscient lui aussi, et en joue. Lui n'a aucun problème avec la vie que nous menons dans le vaisseau. Au contraire, il est très satisfait du rang que lui donne sa position de fils des Gardiens, et se réjouit par avance de sa future union avec moi. Il est fat et indélicat. D'aussi loin que je me souvienne, il m'a toujours dégoûté, et plus encore à présent que nos noces se rapprochent.

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