Le cri

Chapitre 1 partie 1

Il est quatre heure.

Dans ce froid matinal, Samuel sort de sa maison. Il a treize ans, et les cheveux d'un brun tout ce qu'il y a de plus banal, mais avec des yeux marrons aux reflets verts en jolies amandes. Dans les forêts du Vercors, l'aube pointe à peine à l'horizon. Le jeune garçon adore ce paysage. Durant les vacances, en particulier celles de novembre et d'avril, Samuel passe presque tout son temps dans la forêt. De très tôt le matin à tard le soir, il reste à l'abri dans sa solitude, et étudie, tel un ermite, le comportement des animaux qu'il affectionne beaucoup. Il les classe, les dessine, les observe... Il cherche à comprendre, du haut de ses treize ans, le monde qui l'entoure, et ses secrets. Régulièrement, sa sœur vient avec lui. Jane est une petite fille de neuf ans incroyablement douce et gentille. Les mêmes cheveux bruns que son frère, et les mêmes yeux marrons aux reflets légèrement verts, mais également une propension à bavarder et à rire, inexistante chez Samuel. Elle aussi adore se promener en forêt, et observer la faune et la flore, même s'il fallait pour cela se taire. Alors, elle essai, elle écoute, elle se fait le plus discrète possible, bien qu'elle soit de nature plus bruyante.

Pourtant , ce matin, Samuel est seul. Mais c'est normal, c'est son temps à lui. Sa sœur le sait, et elle le laisse tranquille. De toute façon, à cette heure-ci, elle dort, comme tout enfant en vacances. Mais Samuel n'est pas comme les autres, et malgré l'heure, le froid, et le peu de lumière, il se dépêche de rejoindre la forêt. Il a très vite compris que pour voir des animaux, il faut adopter leur rythme, même s'il est parfois un peu rude pour le jeune garçon... Celui-ci se presse vers son abris. Il admire les habitants de la forêt autant qu'il les craints.

En marchant, il pense à sa nouvelle classe. Depuis deux mois qu'il la connaît, il n'a pas d'amis. Pas plus que l'année précédante. Si seulement il savait comment entrer dans un de ces mystérieux "clans" au collège... Mais il ne savait pas. Et il regardait, de loin. Il saisissait des bribes de conversations, parfois, et remarquait les changements incessants dans ces groupes, mais n'avait jamais trouvé le mot de passe pour y entrer. Peut-être qu'il lui fallait s'intéresser aux mêmes sujets qu'eux, mais Samuel n'y arrivait pas. Le foot, les actrices, les chanteurs, la mode, les jeux vidéos,... Que de sujets sans importance pour lui... Samuel n'essayait pas non plus d'aller discuter avec les garçons de sa classe de son univers à lui.

Il ne parlait pas.

Ou très rarement.

A l'école, ça allait encore, sa classe étant très soudée, mais au collège, où les classes changent tous les ans, c'était devenu horrible. Les gens passent, se moquent, et oublient, ce garçon, insignifiant, presque muet, qui ne rentre pas dans la même case qu'eux. Alors Samuel se réfugiait dans la forêt. Sa forêt. Son territoire secret. Un temple sacré que lui seul savait comprendre. Que lui seul pouvait comprendre, par les longues heures passées à attendre et à observer. Loin du collège, dans son abri, Samuel revit. les cours sont une cage, dans laquelle il ne peut que survivre, mais ici, en vacances, il vit. L'école ne l'intéresse pas. Tout ce qu'il doit savoir, ne peut-il l'apprendre en forêt ? Nombreux sont ceux qui ont essayé de l'intégrer au système scolaire, en vain.

Ce matin, Samuel range. Son abris n'est qu'une plateforme, dans un arbre, ouverte à tous les vents et avec un toit trop peu étanche pour contenir de grosses averses. Son abri, le jeune garçon l'a meublé, avec une étagère et un hamac qu'il a tressé. L'étagère est en fait une sorte de fourre-tout pour Samuel qui entrepose là un grand matériel d'observation, de dessin, ou encore, des couvertures. On peut aussi trouver des collections de cailloux aux formes étranges, des herbiers de feuilles rares ou des champignons joliment biscornus.

Jane contribue énormément à ces collections. Mais aujourd'hui, c'est jour de tri. Et qui dit tri, dit temps perdu, c'est pourquoi Samuel se hâte.

Dans la matinée, lorsque les animaux nocturnes seront couchés, et que Jane sera levée, il ira avec elle chercher de quoi compléter les collections tout juste rangées. Elle adore écouter la forêt avec lui. Ensemble, ils apprennent les propriétés des plantes, comprennent le fonctionnement d'une fourmilière, trouvent les noms des oiseaux qui perdent leurs plumes,...

La cabane enfin propre, Samuel observe. Du haut de son arbre, il a une vue d'ensemble sur la forêt. Aussi immobile et silencieux que possible, il attend que la vie reprenne son cour.

Soudain, un musaraigne sort le bout de son museau. Elle fouille les feuilles mortes, y cherchant sûrement des graines ou des menus insectes. Samuel met un certain temps à l'apercevoir, son mimétisme la rendant presque invisible. Mais c'est sans compter la vue perçante d'un chouette, qui n'attend pas longtemps avant de fondre sur la petite créature.

Samuel ne fait rien pour l'en empêcher. la forêt a un équilibre parfait et les hommes n'ont pas à y intervenir. Malgré tout, il regarde et ne perd pas une miette du spectacle. Dans sa tête, il imagine déjà un dessin qu'il pourrai faire plus tard.

Mais, plus une souris de remue. La forêt est comme morte. Samuel reste encore là quelques minutes, tout de même déçu par l'apparition de la chouette. Puis, il relève la tête. Le sublime paysage dévoilé par le soleil levant le tire de sa rêverie. La lumière lui permet d'aller se promener plus loin dans les bois. Alors, il descend de son arbre, et s'en va.