3 - « Il pensa par lui-même »

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Lors des deux premières années chez les Armul, Sajem apprit comment se débarrasser de Silbek. Malgré son jeune âge, l'enfant fut formé au tir à l'arc, à la fabrication de leurres, de bombes et à l'art du camouflage. Pour tuer Silbek et lui survivre, il faudrait se cacher ou se tenir bien à distance de l'eau. Le poisson-chat était l'entrave au bonheur des Armul. Ils avaient donc en eux plus de haine que de peur. Le jeune apprenti abhorrait de plus en plus la créature.

Les deux années suivantes, il se confronta à un point de vue radicalement différent avec les Mizjik. Ces derniers préféraient la vénérer pour attirer sa bonté plutôt que son courroux. Ils estimaient que ceux qui se faisaient dévorer n'avaient pas dû considérer Silbek comme une divinité. Alors il apprit à prier. Il ne savait désormais plus s'il devait tuer ou vénérer Silbek. Il espérait trouver la réponse chez les Intazon.

De douze à quatorze ans, le garçon se forma donc chez les hommes savants qui l'instruisirent. Ils lui partagèrent leurs connaissances mais Sajem avait une grande difficulté à tout retenir. Comment pouvait-il en apprendre autant en aussi peu de temps ? Et puis, il y avait encore tellement de choses qu'il ignorait. Il était peu probable que le savoir qu'il détenait à présent serait suffisant pour venir à bout de l'énigme. Jamais il ne pourrait tout connaître et tout comprendre, personne ne le pourrait. L'énigme nécessitait-elle une réponse précise et complète ? Il connaissait certes des choses mais il n'était expert en rien. Pourquoi le bonheur ne serait-il réservé qu'aux savants ? Il se demanda alors si le savoir rendait heureux. Il était content de comprendre le monde qui l'entourait, de connaître le passé et de pouvoir anticiper le futur. Cependant, certaines vérités lui faisaient peur et il aurait parfois voulu retrouver son insouciance d'enfant. Après ces deux années passées en compagnie des Intazon, il ne voyait aucun espoir de trouver la réponse de l'énigme.

Sajem retourna dans son village pour prendre du recul sur tout ce qu'il avait appris et pour réfléchir à une solution plus adaptée afin d'atteindre l'île. Il travailla seul, comme les Renask le lui avaient appris depuis qu'il était petit. Il pensa par lui-même, sans écouter les avis des autres villageois cette fois-ci, sans même écouter son grand-père pourtant doué d'une grande sagesse. Et pour une fois, il crut y voir plus clair.

Le jour de ses seize ans, le garçon partit en direction de l'île Osmor. Il entreprit son voyage en emmenant tout ce qu'il jugeait pouvoir lui être nécessaire : de la nourriture et de l'eau, un couteau, des bombes fabriquées par ses soins, un arc, des flèches et des livres.

Le voyage fut long. Il fallait trois jours de marche pour atteindre le fleuve. Sajem était confiant et déterminé à fouler le sol de l'île. La tête haute, comme tous les êtres humains à avoir emprunté cette route avant lui, il fit les derniers pas qui le menaient à la créature tant redoutée.

L'énigme du poisson-chatOù les histoires vivent. Découvrez maintenant