I. réveil

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Eiji, Eiji... je ne peux t'abandonner.

Laisse-moi t'atteindre. Laisse-moi vivre ce rêve pour de vrai. Ce fossé qui nous a toujours séparés, toi et moi, il m'est impossible à supporter. J'aimerais être raisonnable, pouvoir renoncer à ta présence, mais à présent, j'en suis incapable.

La haine ardente qui brûle dans mes veines depuis des années n'est même plus éprouvante. C'est comme si elle n'avait jamais existé. L'unique douleur que je ressens provient de mon cœur déchiré.

Je me sens tellement faible, tellement seul. C'est une torture de te savoir si loin de New York. Tu es sûrement soulagé d'être enfin rentré auprès de tes proches, au Japon, dans la petite province d'Izumo qui te rendait si nostalgique. Cette pensée ne m'offre qu'un malheureux sourire amer.
Je te veux en sécurité... Mais je te veux auprès de moi.

Tu n'imagines pas à quel point je me suis fait du mal en y pensant la nuit durant, retournant encore et encore la question dans ma tête tandis que ton souffle paisible résonnait derrière moi.

Était-ce une mauvaise chose que d'être aussi attaché à toi ? À quelqu'un, une personne qui risque autant de mourir que moi...

Lorsque tu étais là, tout semblait plus vivant. Le soir, quand je rentrais, les poings serrés et tremblants, ta présence si chaleureuse me faisait oublier tous mes maux.
Ces moments innocents sont ce qui m'ont convaincu que je pouvais vivre, que tout n'était pas à jeter dans ce lot de souffrance.

Je sentais ce lien particulier qui nous liait l'un à l'autre.
Pourtant, nos mondes n'étaient pas faits pour se mêler.
J'ai failli te perdre tant de fois. La première avait déjà suffi à ce que je deviennes complètement fou d'angoisse à l'idée même que tu disparaisses encore. Si je voulais à tout prix te sauver de la mort, des sombres affaires dont tu n'aurais jamais dû entendre parler, je devais être capable de tout sacrifier, et même de mourir.

Je t'avais dit, une nuit, après que je me sois longuement livré à toi sur ce qui me tourmentait,

"Reste avec moi. Peut-être pas pour toujours, mais au moins pour le moment."

Et tu m'avais répondu sans hésitation dans un murmure doux comme une caresse.

"Pour toujours."

Doux comme ton toucher, ton corps contre lequel je m'étais lové sans trop savoir pourquoi. Cela avait suffit à réchauffer mon cœur, quand bien même je savais qu'un jour ou l'autre, nous devrions nous dire au revoir.

Eiji.
J'ai voulu te faire croire qu'en rentrant chez toi, la pression qui pèse sur mes épaules se libèrerait d'un poids. Il s'agissait évidemment du pire mensonge que j'aie pu inventer, tu le savais aussi bien que moi. Plus tu t'éloignerais de moi, plus je sombrerais dans le noir.

Tu pouvais, certes, agir un peu naïvement parfois, mais tu savais me lire comme personne. Je souhaitais te voir quitter New-York de ta propre initiative, parce que je n'aurais pas pu te pousser à t'en aller autrement qu'en te répétant de le faire. Ç'aurait été trop dur, et ça l'était déjà suffisamment.

Au bout du compte, tu as fait le bon choix, et tu as pris sur toi. Tu avais déjà ta place, au Japon. Une famille, un foyer... Un avenir, des gens qui t'aimaient.

Tu avais enfin accepté la vérité. Rester avec moi plus longtemps n'était plus une option pour toi. Cela ne t'aurait apporté que misère, danger et solitude. Comme tous ceux qui m'ont rencontré.

J'ai décidé de sacrifier cette journée d'adieu, et de t'épargner le sort qui détruisait ceux qui restaient à mes côtés.

Mais...

Je suis là.Where stories live. Discover now