— Tu crois que je ne sais pas d'où tu viens ?

Je retiens un soupir, inutile de jouer la comédie. Je tente de garder mon sang-froid lorsque mon père se rapproche, sortant de l'obscurité.

— Je t'ai fait suivre par Arthur la nuit dernière. Il t'a vu entrer dans cette maison close.

Je déglutis péniblement, sentant mes dernières bribes de bonheur s'évaporer les unes après les autres.

— J'aurais presque pu être rassuré sur ton état, si je ne savais pas depuis longtemps que Louis y a pris une chambre.

Son ton est sec et froid. C'est ce que je trouve le plus effrayant chez mon père. L'absence de colère qui traduit plus tristement l'absence de vie à l'intérieur de lui.

— Tu m'avais fait une promesse, fils, poursuit-il.

— J'ai promis de me marier et je compte toujours épouser Ella.

— En échange de ne plus revoir Louis.

— En échange que vous lui permettiez de revenir au Royaume-Uni, rectifié-je.

— Ne joue pas sur les mots, rétorque-t-il d'un regard noir. Tu savais les conséquences de ton choix.

Il a raison, mais je n'ai pas envie d'être raisonnable. Je n'ai plus envie de l'être depuis que j'ai gouté au plaisir d'être avec Louis.

— Je n'ai pas besoin de vous pour contrôler ma vie, je suis un adulte désormais, mes choix ne regardent que moi.

J'aperçois une déstabilisation dans les yeux du duc. C'est la première fois que je lui tiens tête de cette manière. Sa poigne se resserre sur la manche de son fusil, probablement pour tenter de conserver son calme.

— Tes choix ne regardent que toi ? relève-t-il. C'est là que tu fais erreur, fils. Un homme ne vit pas seul avec ses choix. C'est pour cela qu'ils sont si difficiles à faire.

Je soutiens son regard, refusant de baisser les yeux, tandis qu'il poursuit de sa candeur naturelle :

— Soit, tu veux faire de Louis ton amant. Tu crois que tu seras capable de le cacher aux yeux du monde alors que je l'ai découvert en seulement une semaine ? Est-ce que tu as conscience de ce que ce choix va bouleverser dans sa vie ? Louis vient de la rue, il s'est battu pour avoir une bonne place dans notre société et tu vas balayer tout ça d'un revers de la main. Ne rêve pas, Harold. Les gens sauront pour votre relation. Ils diront que tu l'achètes pour tes pratiques perverses, qu'il a obtenu son poste dans le cabinet du duc de Wellington car il est ton giton personnel. C'est cela la vie que tu souhaites lui offrir ? Une vie remplie de rumeurs, de honte, de mépris ? Tout ça parce que c'est ton choix.

Je déteste mon père. Je le déteste lorsqu'il a raison. Il aurait pu me dire que j'étais quelqu'un de sale, d'immoral, un damné de la terre. Il aurait alors conforté mon choix de rester auprès de Louis pour lui prouver qu'il a tort, pour montrer au monde que nous sommes beaux ensemble et à quel point nous nous aimons. Mais, à cet instant, il a fait tout l'inverse. Il m'a juste fait réaliser combien j'étais égoïste, stupide et naïf. À quel point nous nous aimons n'a plus aucun sens, si moi je ne l'aime pas assez pour faire le choix qui sera le meilleur pour lui.

— Tu te dis adulte, Harold, mais il y a des règles dans notre société. Des règes qui régissent les relations humaines.

Je crois que des larmes perlent dans mes yeux lorsque je lui réponds :

— Il y a des règles pour empêcher les hommes de s'aimer et d'autres qui les autorisent à se tuer. Ces règles n'ont aucun sens, père. Pourquoi accepter un monde aussi faux ?

Après minuitWhere stories live. Discover now