Chapitre 3

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– On ne change pas

« On n'oublie pas l'enfant qui reste »


Printemps 1814 – Birmingham, Royaume-Uni


J'observe ma mère passer les mailles de laine les unes entre les autres. Les gestes sont minutieux, elle ne les a pas oubliés. Elle me confectionne une écharpe pour l'hiver prochain, comme chaque année. Ma mère déteste la chaleur. Elle déteste les ouvriers pleins de sueur et les femmes cachées derrière leurs ombrelles. La chaleur dénude la peau et l'esprit, c'est ce qu'elle me dit tout le temps. En hiver, tout reste au chaud et bien à sa place. Alors, quand elle voit l'été poindre le bout de son nez, elle me confectionne une écharpe pour se convaincre que l'hiver reviendra vite.

— Mère ?

Elle relève son regard de son tricotage, surprise.

— Tu es là ?

— Depuis déjà une dizaine de minutes.

— Je ne t'avais pas entendu arriver.

— Tu avais l'air occupé, en effet.

Ma mère observe son travail en souriant.

— Rouge, murmure-t-elle. Je te l'ai faite rouge. Tu aimes ?

— Absolument.

En réalité, je déteste les couleurs. Je déteste tout ce qui attire l'attention. L'hiver est parfait pour ça, les gens sont cachés sous leurs épais vêtements. Je retiens un rire. Ma mère a réussi à retirer la seule fonction utile d'une écharpe en laine.

— Tu la porteras ?

— Absolument.

Deux mensonges en quelques minutes, je vais devoir me rattraper.

— En fait, reprend-elle, déjà replongée dans son tricotage. Où est Cinderella ?

— Dans sa chambre, je crois.

— Comment s'est-elle blessée au visage ?

Je reste un instant sans répondre. Hors de question que je lui révèle qu'Ella avait quitté la maison hier soir. Hors de question qu'elle sache que j'ai une responsabilité là-dedans. Alors, je hausse des épaules lorsque ma mère relève son regard vers moi. Elle ne dit rien, puis tricote à nouveau.

Je pousse un léger soupir. Il faut que je me décide à avoir cette conversation avec elle. Il faut absolument que je le fasse si je ne veux pas voir tout s'écrouler sous mes yeux.

— À propos d'Ella... Je voulais te dire...

Ma mère entend l'inquiétude dans ma voix et repose l'écharpe en laine sur ses jambes, les sourcils froncés par la curiosité.

— Oui ?

J'évite son regard.

— Louis ? M'interroge-t-elle, de plus en plus intriguée.

— Elle est bientôt en âge de se marier. Elle a seize ans.

— Je sais.

Je la questionne, en plongeant mes yeux dans les siens :

— Qu'est-ce que nous ferons ? À ce moment-là ?

— Qu'est-ce que tu veux dire ? Je ne comprends pas.

Après minuitWhere stories live. Discover now