La faute de Marthe

Depuis le début
                                    

Nanou et moi sommes hébergées par Marie-Pierre à Forest sur Marque, un village voisin d'Hem. Nous avons chacune notre chambre.

Le lendemain matin, jour de l'enterrement, je descends l'escalier et je surprends une conversation entre mes trois soeurs, Magaly nous avait rejointes. Elles discutent de Ginette. Il est question d'une paire de chaussures rouges. Je tends l'oreille. C'était bien de sa faute tout ce qui était arrivé, elle était si fière de montrer à sa mère les chaussures rouges qu'André lui avait offertes!

Ne rien dire, pour éviter de faire un esclandre, mais je bous intérieurement. Je retiens ma rage. Qui leur a raconté cette histoire de chaussures rouges?

Avant l'incinération, je m'agenouille devant le cercueil de ma mère et je lui demande pardon, je dis ensuite à Magaly: j'ai demandé pardon à maman. Elle réagit violemment: pardon de quoi? Je lis la suspicion dans son regard. J'ai l'impression d'être face à un peloton d'exécution, je précise: pardon de l'avoir abandonnée pour aller vivre dans le Vaucluse. Quoi d'autre?

La remarque sur Ginette et ses fameuses chaussures rouges, la proposition de laisser l'argent à André, c'en était trop.

Dans la nuit j'ai écrit une lettre dont je n'ai pas conservé la trace. Je me souviens avoir expliqué pourquoi j'allais accepter la part d'héritage de ma mère. A ce moment-là, j'ai révélé les sévices qu'André nous avait fait subir à Ginette et à moi, en y mettant les formes. Ne pas choquer! Enfin peut-on réellement mettre les formes lorsque l'on annonce ce genre de chose? Forcément, elles ont dû être choquées. Mais j'avoue que je ne me suis pas vraiment posé la question.

Rentrée dans le Sud, naïvement, j'ai attendu un coup de téléphone, une réaction de leur part. Des excuses au nom de leur père, c'était trop leur demander?

Mais rien de tout cela n'est venu, bien au contraire, je n'ai eu que des échos négatifs de ce qu'elles avaient pensé de cette lettre. Marie a parlé de trahison parce qu'elle m'avait accueillie chez elle et que moi, je n'avais rien trouvé de mieux à faire que de lui écrire cette lettre accusant son père.

Commet me sont parvenus ces échos? Je ne m'en souviens plus. Magali et Marie-Pierre étaient en colère et elles ne voulaient plus me parler, ça se résume à ça dans ma mémoire.

Devant ce mutisme, ma rage, le mot n'est pas trop fort, a été décuplée et j'ai décidé de leur écrire une seconde lettre. En la relisant maintenant, avec le recul, j'imagine le choc qu'elles ont dû ressentir. Je sais être cinglante quand je le veux, surtout par écrit. Par écrit, on peut être beaucoup plus féroce que face à face, rien ne vous arrête, personne pour vous dire « stop, j'en ai assez entendu » ou se mettre à pleurer.

Cette lettre, j'avoue donc que je m'en suis servie comme d'un défouloir; j'avais tant attendu une réponse suite à la première que j'ai mis les bouchées doubles.

Je n'ai pas plus reçu de réponse.

J'ai su indirectement que Marie avait été offusquée, qu'elle et Magaly réfléchissaient à la possibilité de porter plainte contre moi, mais je m'en moquais, ou plutôt, je n'attendais que ça pour tout déballer sur la place publique.

Pourtant, j'avais toujours voulu enterrer tout cela au fond de moi et ce pour plusieurs raisons: par orgueil sans doute, et par pudeur aussi e surtout pour préserver ma mère. Je voulais construire une famille. Je pense avoir réussi. Je voulais être aimée, respectée, être considérée comme quelqu'un de bien. J'ai deux filles adorables, qui ont une belle situation, sont bien mariées, et deux petites-filles.

« Belle situation », voilà mon leitmotiv! Ce qui m'a tuée et paradoxalement en même temps permis d'avancer. La contradiction est de taille, mais c'est ce qui résume le mieux ma vie. Je voulais gravir les marches de la réussite, prendre l'ascenseur social. Je voulais que mon mari soit bien, que mes filles apprennent bien à l'école. Je voulais être estimée. Pour y arriver, je me suis battue et débattue dans mon bourbier.

LA FAUTE DE MARTHEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant