Chapitre 2 - Gemma

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Occupée à regarnir mon rayon de boissons aux agrumes, je songe à la soirée qui s'annonce. Un repas chez mes beaux parents, comme tous les vendredi soir. Génial. Je vais encore pouvoir faire la liste de ce que je ne fais pas assez bien, et probablement repartir avec une tonne de conseils éducatifs pour Nina et autant de recettes pour bien nourrir mon homme.
Ma belle-mère à instauré ces repas en famille du vendredi, officiellement pour profiter de Nina, officieusement j'en suis persuadée, pour garder un éternel regard sur la vie de son fils. Sait-on jamais, des fois que j'arrêterais de le nourrir ou de l'habiller... C'est qu'il faut l'entretenir convenablement, son petit.
Mon carton vidé, je le plie sans ménagement et avance mon chariot vers le rayon des sucres et farines, avec lesquels je renouvelle l'opération.
Mon job n'a rien de spécialement passionnant, mais je ne m'en plains pas. Depuis cinq ans, je gère le rayonnage et la caisse d'une petite épicerie du centre ville, en binôme avec ma collègue Alexane. Mes horaires me conviennent, le contact avec la clientèle aussi. J'aime parler, prendre des nouvelles de mes habitués, leur servir mon plus beau sourire et placer quelques blagounettes pour égayer leur journée. Et la mienne, par la même occasion. Parce que mine de rien, bosser dans la bonne humeur, c'est quand-même nettement plus gratifiant qu'en tirant la tronche.

- Bonjour Gemma, chantonne une petite voix douce et enrouée sur ma droite.

Sans surprise, je me tourne vers un petit visage ridé au sourire lumineux, posé sur deux petites épaules afaissées dont l'une tient en appui sur une canne en bois de cerisier.
Je jette un œil rapide à l'horloge fixée au dessus de la caisse avant de lui rendre sa politesse. Zut, j'ai encore perdu mon pari avec ma cliente préférée.

- Comment allez-vous madame Chauveau ? Neuf heures précises, comme tous les vendredi, je ne sais vraiment pas comment vous faites.

- Que voulez-vous mon petit, si j'arrive plus tôt, le pain est trop chaud. Plus tard, il est trop mou.

Hum. Encore un argument servi pour m'épargner le fait qu'elle a l'heure dans la tête, contrairement à moi. Si elle est parfaitement consciente de cette réalité puisque nous en avons souvent discuté, madame Chauveau prend soin de toujours éviter de mettre cette qualité en avant. Ancienne ouvrière à l'usine de dentelle, elle a gardé les stigmates d'une époque et d'un secteur où l'on ne pardonnait ni le manque de ponctualité, ni celui d'assiduité.
Chaque vendredi à neuf heures précises, elle pousse la porte de notre petit magasin pour y faire ses emplettes, ce qui fait que chaque vendredi, je perds mon pari idiot selon lequel elle finira bien par avoir quelques minutes de "retard" un jour.

- À la semaine prochaine, mon petit !

- Avec plaisir madame Chauveau, passez une bonne journée.

***

- Alors, c'était bien l'école ?

- Nan !

Ouh là. La mine renfrognée du petit machin à couettes qui vient de grimper à l'arrière de ma citadine ne me dit rien qui vaille. À mon avis, derrière la grille de cette école, quelqu'un a dû en prendre pour son grade. Je referme sa portière et prends place au volant en jetant un coup d'œil dans mon rétroviseur. Les deux bras croisés, le nez retroussé et le menton dans la poitrine, je m'attends presque à voir de la fumée sortir de ses narines.

- Ben alors mon petit chat ? Qu'est-ce qui se passe ? demandé-je en tentant d'adopter ma voix douce de maman parfaitement calme et rationnelle.

Parce que très clairement, récupérer ma fille dans cet état me donnerait plutôt envie d'enclencher le mode lionne-consanguine-sans-neurones et d'aller retourner l'école jusqu'à trouver la petite ordure qui a blessé son petit cœur.

Dix JoursWhere stories live. Discover now