Quand une nuit de feu réduit toute une vie en cendres

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Cette après midi d'hiver fraîche mais ensoleillée m'a donnée envie de sortir de chez moi. Heureuse de ce temps que j'allais m'accorder, j'ai enroulé une écharpe autour de mon cou et j'ai descendu deux par deux les marches de mon immeuble. Mon souffle se condensait en petits nuages glacés devant ma bouche tandis que je marchais tranquillement dans la rue. Le froid me fit resserrer mon manteau autour de ma taille, sans pour autant me départir de mon sourire. Les boucles blondes qui tombaient en cascade sur mes épaules tressautaient à chacun de mes pas légers. J'enfouis doucement mon nez dans ma longue écharpe, d'un bordeaux sombre et profond, tant pour me protéger de l'air glacé que pour respirer le doux parfum qu'elle dégageait.

Quelques minutes plus tard, je poussais la porte d'un café, bien décidée à me réchauffer autour d'une réconfortante boisson chaude. C'est ainsi que me voilà assise, détendue, les yeux dans le vague, perdue dans mes pensées. Je resserrais mes mains frigorifiées autour d'une tasse brûlante, tout en observant avec intérêt la fumée qui s'échappait de mon chocolat chaud à l'odeur alléchante. J'écoutais d'une oreille distraite la musique qui se diffusait tranquillement dans la pièce tout en songeant à une multitude de choses. J'étais sereine, heureuse et la journée s'annonçait parfaite. Mais tout à coup, la musique changea et les premières notes d'un vieux slow retentirent.

Le temps s'arrêta. Mes mains se crispèrent autour de la tasse dont la chaleur me brûlait à présent. Dès les premières secondes, j'avais reconnu la chanson. A trente-cinq ans, cela devait faire dix-sept ans que je ne l'avais pas écoutée et pour cause... Je me replongeais alors, bien malgré moi, dans des souvenirs à l'allure de cauchemars.

Mon amour, t'en souviens tu de cette chanson ? A-t-elle marquée ta vie comme elle a brisé la mienne ? Te rappelle-tu au moins de mon visage, de notre histoire ? Un tel bouleversement ne s'oublie pas comme cela mais te connaissant, tu n'auras pas hésité une seconde avant de l'effacer de ta mémoire, comme tu m'as oubliée après avoir détruit ma vie.

Cette musique, c'est celle de notre rencontre. J'avais à peine dix-huit ans, une bande d'amis, et une folle envie de m'amuser. Ce soir là, vêtue d'une courte robe à paillettes, les basses qui résonnaient dans la boîte rythmaient les battements de mon cœur. Je ne réfléchissais plus à rien, je dansais follement, un large sourire aux lèvres, insouciante, heureuse. Puis, un slow, ce slow a débuté, et je me suis retrouvée encerclée par des regards amoureux et des danses langoureuses. C'est alors que nos regards se sont croisés. Tu avais l'air un peu perdu au milieu de cette ambiance romantique. Tu as passé une main dans tes cheveux bruns et hésité avant de me tendre un sourire charmeur. Ce sourire qui, en une seconde, m'a faite rougir, arrêter de danser, oublier tout ce qui se trouvait autour de moi. Toujours armé de cette expression énigmatique et d'un regard insistant, profond, osé, ravageur, tu m'as proposé de danser.

Et j'ai accepté.

Après un slow passé mes yeux plongés dans les tiens, refusant de m'interroger sur ce que j'étais entrain de faire, tu as attrapé ma main et m'a conduite hors de la boîte. Tu n'avais pas bu, moi non plus, mais ton charme m'avait enivrée. Je me suis laissée faire. Nous nous sommes tranquillement éloignés des cris, de la musique et des relents d'alcool. Nous marchions sans un mot, côte à côte, laissant la tension et le désir emplir l'espace et monter en nous. L'air froid de la nuit sur mes jambes nues me fit frissonner. Tu en as profité pour me demander si je voulais monter chez toi, le temps de me réchauffer. J'ai accepté dans un murmure, sans me poser la moindre question. Tu étais plus âgé que moi mais cela ne m'avait pas traversé l'esprit. Quelque chose dans ta voix grave, rauque, presque un peu éraillée, dans ton regard brun-doré et ton sourire m'avait faite chavirer. Tu as allumé une bougie et tu t'es lentement penché pour m'embrasser.

J'ai passé la nuit dans tes bras, nos yeux voilés de plaisir, nos souffles s'unissant en une harmonieuse mélodie. Le ciel étoilé a longuement veillé sur nos corps enlacés...

Ce sont les rayons du soleil caressant doucement ma peau qui m'ont réveillée, et c'est en sortant de mes rêves que mon cauchemar a pris vie. En ouvrant les yeux, tu n'étais plus à mes côtés. Je me suis doucement levée, j'ai enfilé ma robe de la veille puis j'ai fait le tour de ton appartement. Tu n'étais nulle part. Un pressentiment étrange avait pris possession de mon corps. La peur commençait à naître en moi et l'idée que j'avais peut-être commis une erreur s'ancrait fermement dans mes pensées.. J'ai crié ton nom et ma voix n'a eu pour réponse que son propre écho qui est revenu avec la violence d'un boomerang. Tout à coup, mon téléphone a vibré et c'est ton numéro qui s'est affiché avec une phrase ignoble, qui a résonné à mes oreilles comme un coup de feu dans le silence.

"J'ai eu ce que je voulais, cette nuit était plus intense que je ne l'aurais cru et mes potes n'en reviennent toujours pas que j'ai relevé le défi qu'ils m'avaient lancé. Maintenant tu peux rentrer chez toi petite garce"

Je suis sortie dans la rue pieds nus, décoiffée, apeurée, endolorie. Je ne pouvais pas y croire. Je n'étais qu'un énième trophée que tu allais accrocher sur ton tableau de chasse. Tu venais de faire de moi un objet, la victime d'un viol consenti. Arrivée chez moi je me suis laissée tomber sur le parquet, brûlante de honte, dégoûtée de toi, de moi, de mon propre corps. Les sanglots m'ont inondée et je n'ai pas cherché à résister. J'aurais voulu effacer de ma mémoire cette horrible nuit. Mais connais tu seulement la suite de l'histoire mon amour ? Les jours ont passé. Tout mon entourage m'a tourné le dos, j'étais la honte de la famille, une inconsciente, une traînée. J'étais si jeune...Et pourtant les mois se sont écoulés, et j'ai vécu ma grossesse dans une solitude effrayante. Et oui mon cœur, il avait suffit d'une seule nuit et d'un jeu stupide avec tes amis pour que je tombe enceinte et que ma vie bascule.

Je m'en suis rendu compte trop tard, je n'avais aucun soutien, j'étais trop jeune et je n'avais pas les moyens de m'occuper d'un enfant. Tu as su que j'étais enceinte, mais tu as fuit toutes tes responsabilités. Tu m'as laissée seule face à cette grossesse après avoir joué avec moi comme un chien avec sa balle. Neuf mois plus tard, j'ai accouché sous X. Et aujourd'hui, à trente-cinq ans, la violence de ce choc psychologique couplé à l'angoisse de cette maternité que j'ai rejeté m'ont rendue stérile.. Tu as détruit ma vie. La plaie béante qui ouvre mon cœur ne se refermera jamais et me consume un peu plus chaque jour. Le poids de la culpabilité est suffocant. J'espère que comme pour moi, l'ombre de cet enfant plane sur toi chaque seconde et hante tes nuits. Je te hais mon amour.

Je ne peux plus avoir d'enfant et il y a de ça des années, j'ai refusé de serrer ma fille dans mes bras. Rien ne pourra faire taire la voix dans ma tête qui, parfois, m'amène à la lisière de la folie et me hurle sans cesse cette même phrase :

 J'ai abandonné mon bébé.


Clair de Lune

Quand une nuit de feu réduit toute une vie en cendresWo Geschichten leben. Entdecke jetzt