Chapitre 28, partie 3

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Akai soupira.

« – Il est trop haut, impossible de couper la main de cette chose...

– Fais-le. »

Ils se tournèrent tous vers Lina, qui semblait se retenir à grand-peine d'escalader la nonne elle-même. Avec tous ce même air scandalisé.

« – Tu n'es pas bien, Lina ?!? Même pour un mage régénérateur, une chute de vingt mètres, c'est mortel !

– Fais-le, je te dis. C'est ça ou cette chose le bouffe, ou fait je sais pas trop quoi avec. Vite ! »

Corbeau grogna, mais se contenta de se tourner et d'articuler une incantation. Un cercle de glace se forma autour de la main de la nonne, la tranchant net. Le sang jaillit. Et un horrible craquement dos signala la chute de Baku et de l'appendice au sol, faisant jaillir une gerbe de sang supplémentaire. Tout le monde fixait Lina. Cette dernière souriait.

« – J'espère que tu es contente, commença Corbeau. Tu as une mort sur la consc...

– De quoi vous parlez ? »

Le sourire de Lina s'élargit. En face d'elle, se dépêtrant de la chair fondue de la nonne qui continuait de hurler, un Baku bien droit sur ses pieds, les vêtements recouverts de sang mais indemne, en train de se faire craquer le dos et remuer les membres dans tous les sens. Il fixait le groupe avec un air surpris, et adressa un regard de remerciement à Corbeau qui n'en croyait pas ses yeux. Akai et Phila poussèrent un cri de surprise conjugué, ce qui fit se tourner le soigneur vers elles. Et Jean-Kévin eut un petit rire teinté d'ironie.

« – Tu n'es pas n'importe quel mage régénérateur, pas vrai ? »

Baku sourit à son tour et rejoignit Lina.

« – Bah, non. On ne se construit pas une réputation en crevant de chutes de seulement vingt mètres.

– Tu veux bien arrêter de te vanter, Claro ? On a un monstre à tuer ! »

Le concerné se remit à pouffer, passa une main dans ses cheveux en les imbibant de sang, puis essora son tee-shirt d'un geste ample avant de regagner son sérieux.

« – Ce truc là à l'air d'être assez inoffensif, à défaut de bien présenter. Elle s'est contentée de me regarder sous toutes les coutures. Et sa main ne se régénère pas. »

La nonne s'était à nouveau penchée vers eux en poussant son cri d'outre-tombe, les yeux dégoulinant d'une sorte de liquide. Plus Lina la regardait et plus elle sentait une terreur irrationnelle s'emparer d'elle, la poussant à fuir, fuir le plus loin possible, éviter les châtiments, rester entière, ne pas se retrouver à nouveau entre leurs griffes. Luttant contre cette impression, elle eut un léger sourire.

« – Si c'est ça, on devrait vite s'en débarrasser, nan ? »

Akai se rapprocha un peu d'eux, fixant la créature qui restait immobile.

« – Pas si on se fait écraser avant. »

Et de fait, la nonne se mettait à marcher.

Le groupe n'eut pas d'autre choix que de se mettre à courir entre les lits de la nursery, trébuchant parfois sur une émanation de magie, perdant l'équilibre à chaque fois que les immenses chaussures de la créature faisaient trembler le sol. La terreur était de plus en plus présente dans l'atmosphère, et les cris de douleur de plus en plus nets. Plus la voix se précisait, plus elle semblait familière à Lina, qui cherchait parfois, lors d'un de leurs rares moments de pause, à en déterminer l'origine. Mais les cris restaient désincarnés. Et la nonne se mettait à leur courir après de plus en plus vite, hurlant des insanités qui ne leur semblaient pas destinée.

Victime d'une étrange déformation du sol, Phila s'effondra et empala sa jambe droite sur une écharde, sifflant de douleur. Baku se précipita sur elle pour la soigner et la relever, mais il était trop tard : La nonne les avait rattrapés. Et elle tenait une badine. Son visage déformé était tendu par une étrange rage, et elle gémissait toute la force de sa colère alors que l'arme se levait haut dans les airs. Lina ne put retenir un hurlement de terreur. Sa résistance avait atteint sa limite, elle n'en pouvait plus, l'horreur de l'environnement lui donnait envie de vomir, elle n'arrivait même plus à réfléchir correctement. Les murs se teintaient de sang et de flammes, le brûlé se rajoutait aux odeurs du lieu, et autour d'eux, un chœur d'enfants invisibles entamait une litanie qui semblait beaucoup les amuser.

« – Petit péché, petit péché, insulte à notre divinité... »

Phila plissa de nouveau les yeux et leva son épée, prête à intercepter la badine. Lina voulut hurler. Elle n'y arriverait pas, c'était impossible, comment était-il possible de contrer une arme d'une telle taille ? Elle allait s'écraser sur eux et ce serait la fin, ils seraient tous morts, punis pour ce qu'ils n'avaient pas commis. Elle ne voulait pas. Elle ne voulait pas.

Le chœur s'intensifia, et l'image d'un grand homme au teint mat se substitua à celle de la nonne. Lina se cacha la tête dans ses mains. Elle avait les larmes aux yeux. Que tout s'arrête. Que tout s'arrête. Que tout s'arrête.

Et tout s'arrêta.

L'horreur cessa, sur un unique mot de Corbeau, une injonction en wattpadien ancien qui avait envahi la chambrette de glace. Le bruit de gel tombant en pluie au sol se substitua aux chœurs, et le froid remplaça cette horrible impression de moiteur sanglante. Lina s'autorisa à ouvrir les yeux. Elle regarda autour d'elle. Corbeau avait les traits tirés et une étrange expression amère sur le visage. Phila avait du sang qui lui coulait de la bouche, comme si elle s'était mordue la lèvre. Et Baku, dans un coin, sanglotait doucement, la tête entre les mains, le visage caché. Il était recroquevillé derrière un bloc de glace qui s'effritait doucement, et que Lina reconnut comme la tête de la nonne détachée de son corps.

Un poids sur ses épaules la fit relever la tête, et elle vit que Jean-Kévin avait passé un bras autour de son cou dans un geste qui se voulait rassurant. Encore trop secouée pour protestée, elle se laissa aller contre lui, sans rien dire, remarquant que son illusion était agitée de tics. La liche eut un petit sourire.

« – Est-ce que tout va bien, Lina ?

– Je crois, oui. Lorsqu'elle a levé sa badine...

– On a dû tous ressentir plus ou moins la même chose, enfin sauf Akai et Erin qui semblent moins affectées. Qu'est-ce que tu as vu, toi ? »

Lina soupira, et se serra un peu plus contre son ancien ennemi.

« – Le surveillant de mon orphelinat. Un homme qui n'aimait pas les enfants. Et moi en particulier, je crois. Il n'arrêtait pas de m'engueuler, de me hurler que j'attirais tous les malheurs du monde... Et toi ?

– Je me suis senti bombardé de pierres par les enfants de mon ancien village, fit Jean-Kévin en lui rendant son étreinte. L'horreur était tellement forte dans la pièce... Je crois qu'on a tous revu nos vieux traumas d'enfants. Mais je me demande ce qu'on vu Phila et Baku. »

Lina se tourna vers les deux concernés. Apparemment, ils s'étaient tous les deux rapprochés et discutaient à voix basse, en compagnie de Corbeau qui ne semblait pas très bien non plus. Akai et Erin les fixaient avec une certaine surprise, l'air pas affectés du tout. Lina les enviait. Même si le gel bloquait les parois et figeait cette impression d'horreur absolue qui avait fini par envahir la pièce, elle se sentait encore secouée, l'esprit renvoyé quinze ans en arrière, figé dans les bâtiments de Londres. Elle se décolla de Jean-Kévin sans rien dire avant de se tourner vers Baku. Puis, de nouveau vers Jean-Kévin.

« – Je ne sais pas ce qu'ont vu Phila et probablement Corbeau, mais je me doute de qui a vu Baku et c'est pas à moi de le dire. Demande lui, et vois s'il te répond. »

Sur ces mots, elle se dirigea vers son ami, qu'elle avait assez délaissé à son goût. Ce dernier tourna vers elle un regard vide, avant de fixer la poussière de glace de la nonne achever de se disperser.

Le dernier morceau partit en éclats de givre.

Et la chambrette s'évanouit en fumée.

Le Feu Et La CendreWhere stories live. Discover now