Chapitre 2 -1

833 115 31
                                    


HOPE

En riant, j'observe mon père qui en fait de même.

Nous sommes au bord d'une crise majeure lui indique mon sourire. Au Blue bar, deux cent personnes l'attendent impatiemment dans un cercle plus privé permettant plus d'échanges, et elles méritent chaque minute que papa voudra bien leur consacrer. Beaucoup n'ont pas compté leur temps et leur argent pour le faire élire. Alors qu'ici, deux garnements déchaînés ne le voudraient que pour lui.

On tire sur ma main.

– Hopi, est-ce que Papa va dîner avec tous ces gens ?

Je détache mon regard ému de celui de notre nouveau maire, bouleversée qu'il ait tenu à associer maman à son succès avec cette chanson, pour l'abaisser vers la ravissante petite bouille tracassée levée vers moi.

Qui, elle, s'en moque éperdument.

– Apparemment, réponds-je en voyant mon père et ma belle-mère sortir de la salle pour faire face à leurs obligations.

– Ça va être long, se plaint ma petite sœur.

C'est le maître mot : obligations. La première étant de se souvenir que si on est arrivé là ce n'est pas seul. Chacun de nous préfèrerait rentrer à la maison mais c'est impossible. Dans ces cas-là, nous rions toujours des blagues débiles que Papa et GG ramènent de leurs soirées. Les blagues débiles, c'est un truc que nous partageons avec eux depuis le début de la campagne. 

Du coup, je nous dirige vers l'endroit que j'ai repéré depuis vingt bonnes minutes en pestant de ne pas avoir été plus rapide. Là aussi, il y a foule. Je ne sais pas pourquoi il existe une «fracture sexuelle» devant les toilettes. Est-ce que l'envie de pisser agit par discrimination ? Ou bien est-ce une contrainte anatomique immuable ? File d'attente chez les femmes. Fluidité chez les hommes. Pourquoi diantre tant d'inégalité ?

Seulement la direction imposée ne plaît pas à tout le monde.

– Et nous alors ! proteste ma petite sœur en se plantant devant moi.

Je ris car elle pointe le menton bouche pincée et imite sa mère quand elle est furax contre mon père. Les chiens ne font pas des chats.

– Papa avait prooomis de manger une glace avec moi s'il gagnait, ajoute-t-elle fièrement. Il dit que Ben & Jerry c'est komerkitable.

Je m'abaisse à sa hauteur pour lui chuchoter à l'oreille :

– Tu n'as pas envie de faire pipi ?
– Non ! t'y restes troooop longtemps, braille-t-elle à qui veut l'entendre.

Gênée qu'elle ait dit ça à voix haute, je lève les yeux au ciel.

– Si j'y reste longtemps, c'est parce que je me lave les mains, en profité-je. Tu te souviens pourquoi il faut se laver les mains, n'est-ce pas ?

– Même pas vrai ! Il te faut une heure pour poser ton sac et encore une autre pour savoir si tu vas t'asseoir ou pas, réplique-t-elle d'un air buté tout aussi fort.

Patience... Au bout de la patience, il y a le ciel.
Ou les toilettes.

Cinq ans, c'est l'âge où elle copie les gestes des adultes et essaie de changer leurs règles. L'âge du merveilleux et de l'affabulation où elle revit le vécu à sa manière. Billy tente de lui barrer le passage en s'insérant entre elle et moi.

– Commerce équitable, banane ! lui hurle ce dernier en pleine face avec un temps de retard indiquant qu'il a encore dû commettre une bêtise.

Scrap Metal.Where stories live. Discover now