Chapitre 1

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S

Sur le parking réservé aux véhicules de location de l'aéroport d'affaires d'Opa Locka où nous venons d'atterrir, j'incline la tête pour signifier au tailleur noir endeuillé qui m'accompagne de monter fissa dans notre nouveau carrosse, pendant que l'employé chargé de la livraison vérifie les papiers du véhicule. Je n'ai pas besoin de plus pour établir ma domination sur une étrangère. À deux pas.

C'est notre distance de sécurité.

– Tu es vraiment sûr de vouloir y aller ? tergiverse malgré tout l'intéressée, jetant un nouveau coup d'œil nerveux dans ma direction.

Je soupire d'agacement. Elle a agi ainsi durant tout le vol Vancouver-Miami. Je sais qu'elle ne comprend pas pourquoi nous sommes là, quelques heures seulement après l'enterrement de son père, toutefois je n'ai pas l'intention de me justifier. Se justifier, c'est plaider coupable. Or, je ne suis pas coupable.

Celui qu'on va voir par contre, si.

– Tu n'étais pas obligée de m'accompagner, lui rappelé-je sans la moindre once de culpabilité pour son chagrin, tout en faisant coulisser le satin funèbre de ma cravate le long de ma chemise noire.

– Ce n'est pas le bon carnet du véhicule, nous annonce l'employé grisonnant. Celui-ci est celui d'un Mercedes en réparation. Ah ces jeunes... Je reviens.

– Dépêchez-vous s'il vous plaît. Nous sommes pressés.

En la glissant dans ma poche extérieure de veste, je réalise que je n'ai même pas retiré mon costume après l'inhumation. Les funérailles font soi-disant partie des moments les plus respectueux d'une vie mais j'en ai rien à battre. Les battements désordonnés de mon cœur ne me rappellent que la lettre pliée soigneusement contre ma poitrine.

Pas de temps à perdre, putain.

– Est-ce que j'avais le choix ? se lamente la blonde en tailleur-pantalon noir signé de la très chic maison parisienne Saint Laurent, refusant d'admettre qu'elle aurait tout aussi bien pu me laisser venir seul.

– Bien sûr que tu l'avais !

– Non. Je ne l'avais pas, se défend Caitlin. Je comprends ton obsession de justice, Sau, je t'assure. Seulement, je ne peux pas te laisser prendre des risques insensés pour l'écurie, formule-t-elle en guise d'explication. Tu es mon associé. Ton image et celle de l'écurie, c'est la même chose.

Sans doute. Mais à cet instant précis, l'écurie, j'en ai rien à carrer.

Tout en examinant par réflexe le Cadillac XT5 flambant neuf que la secrétaire de son père nous a réservé, je revois l'exact moment où, quelques heures plus tôt, dans le cimetière de Capilano View, l'homme d'affaires chargé de l'exécution testamentaire de Melvin Roy, nous a attirés tous les deux sous la protection de l'Ange ailé. Il avait une mission urgente selon lui. Nous délivrer à chacun la même missive sans tarder. C'était le vœu du défunt. Une fois son corps en terre, nous devions la lire. Nous apprenions aussi qu'il n'avait pas rédigé de testament avant de tomber malade. Caitlin étant fille unique, Melvin n'en n'avait sans doute pas vu l'utilité. La moitié de l'écurie familiale lui revenant de droit. L'administration de l'autre moitié m'incombant déjà par présomption d'absence de mon frère. Alors c'est ce que nous avons fait. Nous avons lu. 

Ça été rapide.

 La page blanche ne contenait que trois mots de sa main : Samuel Brenner et Miami. Un homme et une ville. Aucune autre explication. Pendant que Caitlin pliait tranquillement la sienne et la glissait dans son sac sans s'en préoccuper, je tapais les trois mots clé sur mon portable. Ce que j'ai lu m'a décidé. Le gars en question tenait son dernier meeting public ce soir. La rage de comprendre s'est alors transformée en besoin d'explorer la vie d'un autre pour l'abattre.

Scrap Metal.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant