Comme ça. Dans la seconde.

– Melvin n'aurait jamais dû nous faire un coup pareil, piaille Caitlin.

– Moi je suis heureux qu'il ait eu ce courage, lui opposé-je sereinement. 

La seule chose que je ne capte pas c'est pourquoi Melvin Roy l'a fait à sa fille. Qu'est-ce qui a motivé l'homme d'affaires de nature paisible et réfléchi à lui donner le double de ma lettre ?

– Je ne comprends pas Melvin ! s'énerve-t-elle à tenter d'extirper sa frustration. En te donnant ce nom, il ne fait ni plus ni moins que te pousser à la vengeance.

– Je dois retrouver Zolder, grommelé-je avec calme.

– Et tu crois que ce quidam va t'y conduire ?

– Pas volontairement, articulé-je, amer, tout en jetant un œil au bureau vitré éclairé dans lequel l'employé grisonnant s'active toujours.

– Excuse-moi mais si Zolder a été enlevé pour être vendu, il est sans doute mort aujourd'hui, avance tactiquement Caitlin.

Je reporte mes yeux sur elle. J'ignore pourquoi elle s'applique à vouloir me faire changer d'avis mais ça ne risque pas d'arriver.

– Ce que tu penses n'a aucune importance, dis-je simplement.

L'amour entre deux jumeaux est un lien pur où nul autre n'a sa place, à nul autre pareil, aucune enchère n'est possible. Parce qu'on sent l'autre aussi bien qu'on se sent soi-même. Or tout en moi crie qu'il est vivant.

– Ta mère serait tellement furieuse si elle voyait tout ce bazar, abat Caitlin en dernier recours. Elle n'aurait jamais voulu de cette colère en toi, tu sais. Elle était douce, très maternelle et si...

– Stop putain !! Je ne te supporterai pas dans ma voiture si tu finis cette phrase.

Elle m'agace à toujours citer des souvenirs que je n'ai pas. Comme elle était de sept ans plus âgée que nous à l'époque, Caitlin se rappelle très bien notre enfance avant le drame : nos cabanes, nos disputes, mes bêtises. Moi, rien. La famille, être choyé, être aimé, tout ça n'a aucune saveur à mes yeux. Ce ne sont que des mots dont je ne comprends pas les enjeux.

Comment les comprendrais-je ? 

Ma mémoire est un tombeau, un caveau, un sarcophage scellé pour l'éternité, et mon cœur... Mon cœur est un amas de pierres qui ne s'ouvrira plus jamais.

Et quelque part, si par malchance je ne devais pas retrouver mon frère jumeau après avoir tout tenté, cela me convient. Je ferai avec. C'est juste que... Je ne veux pas être là, entre deux situations inextricables. Je ne veux pas qu'on me dise qui je suis et comment me comporter. Je veux être rien. Comme je l'étais avant qu'ils me mettent ma foutue identité sous le nez. C'est horrible qu'on me force à me glisser dans la peau de celui que j'aurais dû être parce que c'est « l'ordre des choses ». Un peu comme si on me volait ma vie une seconde fois.

L'incendie qui s'attise dans mes veines me pousse à clore le sujet. 

– Cette femme n'existe pas, lui affirmé-je d'un ton dur.

Deux iris bleus dépités se lèvent dans les miens.

– Mais c'était ta maman quand même ...

Pourquoi elle insiste avec ça, putain ?

Je n'éprouve rien pour cette personne qui m'a donné la vie. Pas la moindre peine pour la façon tragique dont elle a quitté ce monde, non plus. Comment les circonstances peuvent-elles nous transformer à ce point ? J'étais un petit garçon affectueux et rieur selon Melvin, fougueux et malicieux, mais toujours avide de câlins rapides et de bras de femmes. Mais ça, c'était avant que mon existence bascule dans les ténèbres. Aujourd'hui, je ne ris plus. Je crois même n'avoir jamais souri à personne. Les bras de femmes ne m'étreignent plus. 

Scrap Metal.Tahanan ng mga kuwento. Tumuklas ngayon