1. Retour à la case départ

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« Hier encore, j'avais vingt ans, je caressais le temps

Et jouait de la vie

Comme on joue de l'amour et je vivais la nuit

Sans compter sur mes jours qui fuyaient dans le temps

J'ai fait tant de projets qui sont restés en l'air

J'ai fondé tant d'espoirs qui se sont envolés

Que je reste perdu, ne sachant où aller

Les yeux cherchant le ciel, mais le cœur mis en terre.»

Charles Aznavour – Hier encore

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24/12/2018

Je tombe de sommeil. Cette journée a été la plus longue et la plus étrange de ma vie. J'ai bien cru qu'elle ne finirait jamais.

Tout avait pourtant si bien commencé dans tes bras... Mon cœur se déchire en écrivant ces mots.

Une part de moi est restée sous la lune à Pleiku, en plein cœur du Vietnam. Et voilà que maintenant je pleure encore...

Ici tout est anormalement calme, lent, silencieux. 

Pas un vrombissement de scooters au loin ; aucune perceuse ne fait trembler la maison.

Pas un rayon de soleil ne filtre à travers la fenêtre, seulement de la pluie, une pluie fine.

Rien que de la pluie et du silence. Pourtant rien ne pourrait mieux correspondre à mon humeur.

C'est une petite bruine en comparaison avec les pluies de mousson Vietnamienne. Même la pluie, ici, elle ne tombe qu'à moitié.

Je tourne et me retourne, incapable de trouver le sommeil. Je vais courir. La dernière fois que j'ai couru sous la pluie, c'était au Vietnam, pendant un typhon.

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25/12/2018

Je suis revenue hier en France. Aujourd'hui ton amour de jeunesse te rejoins à Ho Chi Minh City (HCMC) - sud Vietnam - pour les fêtes de fin d'année...

Un jour seulement que je suis partie, et je ne sais déjà plus comment t'aborder ni ou me placer dans ce triangle amoureux.

"Garde tes distances Hannah, garde tes distances", me murmure une petite voix.

OK, mais rien ne m'empêche de penser à toi. Penser à toi est un plaisir... enfin c'est une souffrance aussi, mais une belle souffrance. N'est ce pas toi d'ailleurs qui m'a appris à trouver de la beauté dans toute chose et à prendre le temps de l'apprécier à chaque instant ? 

J'essaye de t'imaginer là-bas, je m'amuse à deviner à quoi ressemble ta journée dans ces endroits où nous avions l'habitude d'aller ensemble.

Quelle ironie ! Je t'ai dans la peau mais je ne peux pas te sentir. Le matin, en prenant ma douche brûlante, je baisse mes yeux vers ma cheville droite et les quatre cercles de taille croissante que tu y as dessiné. 

Moi qui m'étais pourtant jurée de ne jamais me faire tatouer ! 

Hum, rien que d'y repenser ça me fait sourire... je me sens heureuse, sexy, transformée.

Je ferme les yeux un instant et me voilà replongée dans l'atmosphère étrange de ce bar à weed poussiéreux du fin fond du Vietnam. Je souris à nos derniers instants ensembles.

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26/12/2018

Aujourd'hui j'ai enfin réussi à dormir jusqu'à onze heures ; c'est la première fois depuis que je suis rentrée que je ne me réveille pas en pleine nuit. J'arrive peut-être enfin à m'habituer aux six heures de décalage horaire. Ça m'en aura pris du temps !

La vie ici est « SLOW AF » (as fuck), comme tu dirais. Parfois, prisonnière d'une réunion de famille sans intérêt, je voudrais fuir. Je te cherche alors du regard pour faire « the cat thing », notre code à nous, tu sais, celui qu'on faisait quand on se trouvait au beau milieu d'une conversation ennuyeuse. Mais tu n'es pas là... et alors, machinalement, je me retrouve à poser ma main sur l'épaule du premier venu à ma droite, tout en détournant le visage pendant plusieurs secondes sans rien dire. S'en suit alors un long silence embarrassé...

Puis  « Mais ...ma chérie, qu'est-ce que tu fais ? est-ce que tout va bien ? » 

C'est ma grand-mère qui me fixe de ses grand yeux bleus écarquillés et avec un sourire bienveillant... Tous autour de la table m'observent avec le même regard incrédule. Soudain l'un d'entre eux se met à pouffer nerveusement entraînant tous les autres avec lui comme une longue suite de domino. La tension est palpable. Je grommelle trois excuses et sort de table précipitamment.

« Mais ne t'en va pas ma puce !  Raconte-nous plutôt le Vietnam, tu ne nous as encore rien dit.», et hop ma mère, plus rapide que son ombre, se lève déjà et me barre déjà le passage.

« Plus tard maman... je suis fatiguée, j'ai encore très mal dormi. » et voilà que je ressors l'excuse du décalage horaire une fois de plus. Combien de temps va-t-elle me sauver encore ? Il faudrait quand même que je pense à innover. J'y penserai demain.

Mais NON je n'ai pas envie de raconter le Vietnam !  Et puis d'ailleurs que pourrais-je bien raconter, et par où commencer ? Comment faire comprendre avec des mots la vie radicalement différente que j'ai menée pendant six mois ? Comment raconter le Vietnam sans parler de toi, sans choquer ? Je ne reviens pas de deux semaines de vacances à la plage !  J'ai vécu, j'ai changé...

Ici par contre, rien n'a changé. C'est toujours le bordel. Maman est triste parce que ma sœur est toujours malade et ne peut toujours pas manger pour Noël. Ma sœur, elle, refuse toujours de m'adresser la parole... L'atmosphère n'est pas tellement à la fête et plutôt oppressante.

Hier, j'ai donc ressenti le besoin de m'échapper pour aller marcher. Malgré le froid et le vent glacial qui fouettait mon visage, je me suis attardée dans les rues désertes de Paris... La bonne idée ! Un vingt-cinq décembre quand tout le monde est en famille, j'avais Paris pour moi. J'ai réalisé à quel point Paris m'avait manqué et combien c'est une ville magnifique. Marrant de voir à quel point de petits détails auparavant insignifiants attirent maintenant toute mon attention, notamment au niveau de l'architecture. Je me surprends même à redécouvrir des rues que j'ai emprunté des milliers de fois. Ainsi j'ai remarqué avec étonnement la présence d'une terrasse au cinquième étage d'un l'immeuble haussmannien qui fait le coin de ma rue et qui m'avais jusqu'ici tout bonnement échappé. Je n'avais probablement jamais pris le temps de lever les yeux en marchant...

Pourtant le VietnaMESS me manque. Les marchés de fruits ici sont trop ordonnés ; tout est trop ordonné, tellement prévisible !  J'ai un pincement au cœur quand je repense aux rues animées de HCMC ou les fruits sont entassés pèle mêle, où la ville grouille de scooters partout.

Ici pas une voiture, pas un scooter à l'horizon ; je suis presque nostalgique en marchant sur le trottoir de ne pas croiser un scooter roulant en sens inverse. Aucun bruit de klaxon, aucune odeur ne s'échappe des rues. La ville est morte.

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28/12/2018

Installée seule dans un petit café de type bar PMU situé dans la rue Marcel-Renault à Paris, à écouter « hier encore » de Charles Aznavour et bien malgré moi les potins des deux vieilles alcooliques du quartier, je n'ai rien trouvé de mieux à faire que d'écrire sur toi.

J'ai adoré le Vietnam en tant que pays, j'en ai encore plein les yeux, mais le Vietnam sera toujours associé à toi.

Toi, AJ, qui l'a rendu encore plus merveilleux.

à AJ, 

Mirage au VietnamTempat cerita menjadi hidup. Temukan sekarang